Parmi mes plus anciens souvenirs d’enfance, il y a l’appartement de ma grand-mère, au troisième et dernier étage d’un immeuble brun anonyme, rue Vimy dans le quartier Saint-Sacrement. Je me rappelle parfaitement la disposition des lieux que traversait son minuscule corps, si maigre. Je revois la cuisine miniature, les bonbons datant du pléistocène, momifiés dans des coupes en verre taillé, les divans inconfortables, mais surtout les odeurs. Relents de cigarette – même si elle ne fumait plus – et de nourriture. Mais surtout d’un ennui qui couvre immanquablement tous les autres parfums du monde et qu’il m’aura fallu des années pour identifier clairement.
Pour tuer le temps, ma grand-mère avait donc trois spécialités: les parties de bridge, le gin Beefeater (moitié gin, moitié eau plate) et le baseball.
Un été, dans un coin du salon, tandis que le jour penchait avec une lenteur insoutenable, sa petite télé juchée sur un support en métal diffusait un match des Expos.
– Il n’y a rien de plus beau à la télé que la pelouse verte d’un terrain de baseball, m’avait-elle dit un jour.
Mes remarques à propos de Gary Carter, par la suite, n’avaient pas reçu de réponses claires, et j’étais parti jouer avec ma sœur.
Avec le temps, en même temps que je découvrais la nature de cette odeur autrefois inconnue, je me rendais compte que ma grand-mère n’écoutait pas vraiment les parties. En fait, c’était à peine si elle y jetait un œil. Elle connaissait les joueurs, le score, quelques statistiques. Mais ce n’était pas par réel intérêt, je crois. Le son était allumé, mais elle appréciait ces neuf manches comme une visite dont elle captait la conversation, une présence réconfortante, une diversion plus qu’un divertissement. Plus que tout, elle semblait apprécier le vert éclatant de la pelouse qui contrastait avec les ocres du monticule, du losange, et le blanc des coussins.
Si j’en crois le peu d’attention réservé à mes questions concernant les joueurs, l’enjeu de la partie lui était parfaitement égal.
L’esprit étant une chose mystérieuse, ce sont ces souvenirs qui me sont revenus en tête tandis que j’écoutais des analystes en publicité et en communications (s’il existe encore une différence entre les deux) y aller de leurs autopsies détaillées de la nouvelle pub du Parti libéral du Québec.
Une deuxième en autant de semaines qui nous dit l’immense cynisme avec lequel le gouvernement envisage la prochaine élection.
Mais est-ce la faute aux libéraux si nous nous contentons d’une politique de surface, de la même manière que ma grand-mère regardait le baseball, pour le bruit de fond rassurant que crache la télé qu’on a laissée allumée et des conversations qu’elle produit?
C’est en tout cas le pari que fait Jean Charest. Pari qu’il risque fort bien de remporter.
Il faut dire que son équipe de communications est brillante. Je le dis sans sarcasme, mais avec un mépris consommé: les responsables de cette campagne publicitaire et de toute la stratégie du parti font preuve d’une intelligence impitoyable, carnassière. Ils entrent chez les gens et les bouffent tout cru. Avec la même facilité qui leur permet de nous convaincre de courir acheter tel jus d’orange ou telle bagnole et de nous faire croire qu’il s’agit d’un choix personnel, ils vont tenter de persuader tout un tas de gens qui les détestent de voter pour eux pareil.
Et ça va fonctionner. Parce que, je le répète, nous n’aimons pas vraiment la politique. Seulement le divertissement que procurent ses soubresauts, ses produits dérivés.
Cette chronique, par exemple? Vous avez tout compris.
Bon, c’est vrai, nous investir dans le projet a failli avoir l’air séduisant pendant quelques mois, mais nous nous sommes vite rendu compte que nous n’avions pas les moyens de nos ambitions. Je veux dire collectivement. Je veux dire dans ce Québec constitué à moitié d’analphabètes fonctionnels*, où le discours est dominé par les apôtres du gros bon sens qui gavent de prêt-à-penser un auditoire consentant, heureux de pouvoir ainsi être conforté dans sa vision étriquée du monde.
Je veux dire dans une société du savoir où réfléchir est un luxe.
Ce qui est le plus difficile à avaler pour ses détracteurs, c’est que le PLQ n’a pas produit une publicité négative. Elle n’est qu’un miroir de notre démocratie.
Elle n’est même pas mauvaise. Elle est triste. Désolante. Pitoyable. Et en même temps elle est parfaite. Parce qu’une publicité est éphémère. Elle n’a qu’une utilité: être efficace au moment de sa diffusion. Et en ce moment, tout peut convenir, à condition de remplir le vide.
Vous vous fâchez qu’on vous montre Pauline Marois ayant l’air d’une parfaite abrutie avec ses casseroles, alors que ce que révèle cette pub, c’est l’ampleur de la farce dont nous sommes les dindons consentants. Car s’il suffit de 15 secondes d’une Pauline un peu paumée pour frapper d’amnésie une population qui, hier encore, était révoltée de voir un Jean Charest confit de scandales, alors le problème n’est pas qu’au Parti libéral.
En fait, la politique québécoise ressemble de plus en plus à l’appartement de ma grand-mère. Quelques idées fossilisées dans un bocal. Une télé qui joue dans un coin et que personne n’écoute vraiment, mais dont on aime les voix familières. Le sentiment que les jours recommencent, dans cet ennui qui est si profondément ancré dans le quotidien qu’on a fini par ne plus en percevoir l’odeur.
* Rappelons cet échec cuisant de l’éducation en amont des études universitaires dont il est question depuis le début de cette crise: près de la moitié des Québécois n’atteignent pas le troisième niveau de littératie. Ils peuvent lire pour se débrouiller, mais ne comprennent pas le sens d’un texte de longueur moyenne, comme une chronique.
Est-il possible que nous ayons eu la même grand-mère ? Votre constat est dur mais réaliste. Cette lacune de compréhension à laquelle vous faites référence, je l’ai toujours associé à notre rapport avec la langue. Celle-là même que nous tentons de protéger alors qu’une importante partie de la population voudrait bien se fondre dans le modèle anglo-saxon pour dissoudre la honte de la différence de la même manière qu’un adolescent met sa casquette pour adhérer au groupe et éviter le mépris. Le sens m’a échappé à l’adolescence (au moment où j’en aurais eu le plus de besoin) quand ma discothèque comptait tous les Genesis, Jethro Tull ou les Gentle Giant que j’écoutais allègrement en tapant du pied ou en grattant ma guitare. J’adorais, bien sûr, mais je n’y comprenais que dalle sinon le mot love de temps en temps comme « et c’est le but ! » d’un match de hockey (aujourd’hui c’est le mot fuck que l’on chante sur toutes les scènes). Je me suis rattrapé plus tard, heureusement. Mais j’ai compris le gouffre qui s’était creusé en moi du fait de ne pouvoir dégager aucun sens de ce que j’écoutais. Aujourd’hui c’est pire. Les mots servent à acheter ou à vendre et ne sont plus porteurs de sens. Enfin, c’est mon analyse, peut-être que je me trompe. Je le souhaite. La langue c’est aussi près du cœur que les odeurs et quand j’écoute Catherine Major ou Martin Léon, ça sent le bonbon !
L’enseignement intensif de l’anglais en 6e année pendant 6 mois permettra enfin à nos enfants de comprendre ce qu’ils lisent en français. Géniale cette idée…plutôt que celle d’un enseignement de qualité en français tout le cours primaire durant. Je reste toujours bouche bée devant les capacités exceptionnelles de nos ti-bébés dans l’apprentissage de l’anglais. Mystère et boule de gomme…
Bonjour David
Je cherche à accéder à la source de cette donnée que vous utilisez concernant le niveau de littératie des Québécois?
Merci à l’avance
Voici le lien (parmi tant d’autres)
http://www.mels.gouv.qc.ca/stat/recherche/doc07/DepStatAlpha_fr.pdf
Un autre lien qui parle du niveau 3 en littératie
http://www4.hrsdc.gc.ca/[email protected]?iid=31
Quelqu’un me faisait remarquer cette semaine qu’en fait Pauline, c’est l’image du singe qui tape sur ses cymbales. Tsé le singe avec son chapeau marocain sur la tête? On pourrait aussi faire une parodie de cette pub et l’entrecouper de la reine des elfs dans le seigneur des anneaux. Lorsqu’elle aperçoit l’anneau dans la fontaine, elle badtrip bin raide pis tout autour d’elle devient blanc avec fond bleu, un peu comme Pauline dans la pub. C’est dans les mêmes tons. Faudrait faire la même pub avec un analphabète qui lit au ralenti.
un analphabète qui lit?!?
Dans mon coeur, la publicité montre une Pauline Marois courageuse qui veut changer les choses. Nous devrions plutôt nous attaquer au vrai sens de cette publicité. En payant des milliers de dollars pour mettre ça en ondes, les libéraux veulent ridiculiser Pauline Marois parce qu’elle est dans la rue et qu’elle a l’air un peu maladroite. De ce fait même, ils ridiculisent TOUS CEUX qui frappent sur les casseroles, tous ceux qui sortent sur la rue pour dénoncer le gouvernement libéral; un gouvernement irresponsable qui tente de camoufler une décennie de bourdes sous un débat préfabriqué. Jean Charest a récemment dit qu’il ne voulait pas se faire de capital sur le dos de la crise étudiante : voilà une promesse de plus qu’il n’aura pas tenu. J’ose croire que le Québec passera au-delà de ce débat qui divise (sur la forme et sur le fond) et qu’on se souviendra du bilan Charest qui, peu importe notre allégeance, aurait de quoi faire trembler Duplessis au temple de la honte. Voter Libéral, c’est voter pour la corruption (qu’il la provoque ou non, il ne l’aura jamais combattu).
La honte de la différence? Pas dans mon cas en tout cas. J’ai beaucoup d’amis et amies anglophones (plutôt Irlandais) et je ne me gêne pas pour leur montrer et imposer ma différence. Ils aiment m’entendre parler comme un Québécois et je ne me plierai pas à juste jaser en anglais avec eux. Il n’en est aucunement question et ils le savent. Je ne me gême pas pour leur rappeler qu’ils sont au Québec et que ça se passe en français ici. Le plus drôle là-dedans, c’est qu’ils sont en parfait accord avec moi et ils adorent parler français même si pour quelques-uns c’est parfois laborieux. L’autre jour, nous étions 7 et j’étais le seul francophone. Devinez quoi? Ça se passait en français.
Bonjour cher chroniqueur
J’aimerais accéder à la source de la donnée concernant le niveau de littératie des Québécois. Puis-je vous demander de la partager?
Merci à l’avance
L’image que les faiseurs d’image vont faire avec Charest ne seras qu’illusion et tous ces beaux discours serons qu’une reprise de tous les cassettes que l’on nous abreuvent depuis des années et qui plus est lors de la diffusion des publicité bien 80% des francophones vont tout simplement changés de poste.Maintenant pour se qui est de la mise en scène et là je dit bien mise en scène car l’original en couleur ma foi fait assez près du peuple et avec sincérité pas sur que Charest pourrait faire de même et de par notre nature les »CHEAP SHOT « on n’est pas très chaud a ce mode de bassesse.En ce qui a trait a l’amnésie difficile d’oublier car tous les cônes oranges et entraves à la circulation sont là pour nous rappelés sans cesse les innombrables à coté extra pour ne pas dires surfacturation et autres stratagèmes ignobles pour nous faire payez plus.Le tout provenant du salon d’une personne en age d’être grand père!
Bien vrai tout ça! Mais combien vont comprendre? Tout le monde peut voir que Pauline Marois a l’air d’une abrutie avec ses casseroles dans cette publicité « arrangée » en ce sens par les libéraux. Mais les subtilités de votre article, combien de lecteurs vont les saisir? Combien de lecteurs avez-vous ramené à la raison en l’écrivant?
Le pire dans tout ça c’est la facilité avec laquelle les Québécois sont frappés d’amnésie. On devrait changer la devise « Je me souviens » par « Je m’en fout ». Ça ressemblerait bien plus à notre petit peuple qui consent aveuglément à être le dindon de la farce.
Votre chronique me laisse songeur, en particulier la partie où vous constatez que « nous n’avons pas les moyens de nos ambitions collectivement dans ce Québec constitué à moitié d’analphabètes fonctionnels ». Raison de plus pour prôner la gratuité scolaire pour étudiants de bonne volonté et d’en faire la promotion en tant que gouvernement à travers, entre autres, les arcanes publicitaires. Pour ce qui est du financement des établissements scolaires et de leur personnel, je ne crois pas qu’il fasse problème, malgré qu’on essaie de nous entrer dans gorge l’idée qu’il est utopique. Il n’est qu’à constater quotidiennement, à la une de tous les médias, les sommes faramineuses détournées de tous bords tous côtés à des fins inavouables et/ou intéressées pour savoir que les fonds nécessaires pour financer l’éducation sont disponibles. Ce n’est qu’une question de vision et de choix politiques. Un peuple éduqué est un peuple conscient, ce qui effraie probablement plus d’un gouvernement qui ne jure que par son (petit) pouvoir.
c’est la 1è fois que je vous lis, je vous découvre,
je trouve votre texte extarordinaire, brillant, poétique, évocateur,
une pièce de littérature