Trois-Rivières, capitale mondiale de la poésie. Les deux énoncés collés l'un à l'autre nous gonflent toujours d'orgueil. Pourtant, en dehors du Festival international de la poésie, dont la 23e édition se tient du 28 septembre au 7 octobre, et des vers qui garnissent les murs de quelques demeures du centre-ville de Trois-Rivières, cet art occupe une très petite place dans notre quotidien. D'ailleurs, je me questionne souvent sur les raisons de son impopularité. Son vocabulaire parfois complexe? Sa forme simple? Son intemporalité? Sa sensibilité ? La brèche qu'elle crée dans une identité humaine qu'on voudrait solide comme le roc? Je crois qu'il y a autant de réponses que de détracteurs.
Il n'en demeure pas moins que ce genre littéraire est un outil de communication extraordinaire; il permet d'exprimer le plus précisément possible des sensations, des émotions, bref, des choses qu'on ne peut voir avec les yeux, mais qui pimentent notre existence. En une seule image, il peut résumer une situation ou une idée. D'ailleurs, je suis surprise que cet art de concision ne soit pas davantage valorisé en cette période où l'on désire toujours aller à l'essentiel, où chaque minute compte. Bon, il est vrai que la slam poésie gagne en popularité. N'empêche que les ventes de recueils traditionnels, sinon quelques classiques, n'ont pas grimpé d'une miette. Peut-être nous faut-il juste un peu plus d'ouverture; accepter de se laisser bercer par les sensations créées par la poésie sans chercher à trop comprendre, un peu comme lorsqu'on écoute de la musique?
Selon moi, le meilleur exercice pour se débarrasser de nos préjugés envers la poésie, c'est d'assister à une lecture dans une langue qu'on ne maîtrise pas. L'expérience est assez grisante. Les mots deviennent alors une succession de sons, une composition plus ou moins abstraite. Mais étrangement, bien qu'on ne reconnaisse aucun terme, on réussit la plupart du temps à saisir l'essence du texte, son émotion principale. D'ailleurs, il ne faudrait pas penser que la poésie est un genre en soi. Comme en littérature, il existe plusieurs catégories: haïku, poésie érotique, du terroir, urbaine… Vous pourrez le constater en participant aux différentes activités du FIPTR, qui accueille plus d'une centaine de poètes issus de divers pays du monde – le Mexique est à l'honneur cette année. Le temps du festival, les écrivains s'exprimeront dans les cafés, les restos, les bars… Un des moments forts sera la Grande Soirée de la poésie, présentée à deux reprises le samedi 6 octobre à la Maison de la culture. Pour l'occasion, une trentaine d'artistes se relaieront au micro. Au fait, la programmation complète est disponible sur le site Web de l'événement: www.fiptr.com.
La poésie se veut l’expression des émotions qui nous habitent et de ce qui habite notre âme. Le merveilleux avec ce moyen d’expression est qu’il est accessible à tous. Beaucoup d’entre nous avons fait l’expérience d’écrire quelques vers après une peine d’amour, pendant une maladie ou, tout simplement, pour se défouler. La poésie se veut fascinante par les nombreuses images qu’elle permet. Les mots se jouent de la grammaire usuelle pour s’exprimer en toute liberté. Et cette liberté permet de se rencontrer, à l’intérieur de nous. Elle permet de se rapprocher de son âme. Écrire de la poésie est un geste que nous posons pour nous-mêmes. Ensuite, les autres auront la chance et la joie d’avoir accès à notre monde intérieur. Comme la poésie est un médium « méconnu », profitons des nombreuses activités au programme du Festival International de la Poésie pour nous apprivoiser à cet art. Nous y gagnerons en tendresse, en folie, en amour… et pour le reste, allons le découvrir pour soi.
Je compare la poésie à la musique classique et à l’opéra qui comptent eux aussi un faible nombre d’inconditionnels. Je crois que la cause est que les jeunes sont peu sensibilisés à ces arts à l’école ou souvent trop tard. On dit que pour aimer un nouvel aliment, il faut le déguster à plusieurs reprises pour se faire au goût ; c’est un peu la même chose pour la poésie. Il faut en entendre plus souvent pour que ça sonne agréable à nos oreilles. Mais, je suis convaincu qu’avec la poésie l’avenir s’annonce rose à Trois-Rivières parce que les enfants sont maintenant initiés beaucoup plus tôt ce qui devrait assurer la relève ou d’autres adeptes.
«Écris-moi des mots qui sonnent, des mots qui résonnent, des mots qui donnent un sens à ma musique». Voilà les paroles que Luc Plamondon mettait dans la bouche de Céline Dion il y a belle lurette. La chanson, on le sait est un poème musical à la portée de tous. Pour que la poésie, ce parent pauvre de la littérature, devienne un art accessible à tous, pas seulement à l’élite, il faut écrire des mots qui cognent, des mots qui saignent, des mots qui gueulent, des mots qui ragent. Pas uniquement des mots qui riment pour rimer, qui riment pour frimer.
Donnons la chance aux rimes et aux mots d’être rebelles et marginaux. Donnons la chance aux poètes de s’exprimer dans leur langue avec des mots inventés, des mots qui ne sont pas dans les dictionnaires. Je pense ici à nombre d’auteurs acadiens, dont Guy Arsenault (Acadie Rock) et Paul Bossé (Averses), qui écrivent dans leur langue maternelle poétique, le chiac. Ces poètes contemporains dénoncent et provoquent dans un style littéraire qui détonne avec l’idée édulcorée que la prétendue élite se fait de cette forme d’art.
Afin que la poésie sorte du ghetto, présentons à nos jeunes lecteurs des artistes qui leur parlent. Des artistes non formatés. Des artistes rebelles. Parce qu’un poète c’est un humain qui aime, qui pleure, qui rage et qui conteste. Un poète c’est un homme, une femme, un enfant.
Pendant 10 jours, la poésie envahira la ville. Alors, ouvrons nos coeurs, nos oreilles et nos yeux. Découvrons qu’un poème n’est pas uniquement une caresse, un mot d’amour qui nous berce, mais qu’il est aussi une giffle et un coup de poing qui nous émeut. Ouvrons les recueils de poésies, assistons aux multiples événements programmés par le FIPTR parce que les organisateurs ont rivalisé d’imagination et d’originalité pour attirer un public diversifié : ciné-poésie, hip-hop poésie, jazz-poésie, piano-poésie, café-poésie, sans oublier la traditionnelle corde à poèmes. «Pour que se touchent à nouveau nos regards»…