Quand la température chute sous zéro, j'aime bien m'envelopper dans une couverture de laine et lire près d'une fenêtre. Ça me permet de voyager léger sans craindre de prendre froid en cours de route. D'ailleurs, le soir que la tempête soufflait sur la région, j'en ai profité pour terminer un joli périple – les chemins de l'imaginaire sont toujours praticables! – amorcé depuis quelques jours déjà: j'ai tourné la dernière page de La Fin de l'alphabet du Torontois CS Richardson – pssst… la couverture du livre a été réalisée par l'illustrateur trifluvien Pascal Blanchet, le même qui a créé la nouvelle image graphique de l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières.
Cette petite fable publiée ce printemps raconte l'histoire d'Ambroise Zéphyr qui apprend qu'il est atteint d'une maladie dégénérative inconnue, mais malheureusement incurable. Le médecin lui annonce du même coup que le compte à rebours est déjà enclenché; il ne lui reste tout au plus que 30 jours à vivre. Le vertige. Avec sa femme, le graphiste de profession décide donc de partir à la conquête du monde. Son itinéraire, il le dessine d'une façon des plus inusitées. Comme il est fasciné par les abécédaires depuis l'enfance, il calque le concept: «A» pour Amsterdam, «B» pour Berlin et ainsi de suite… Un périple de 26 jours pour réaliser ses vieux rêves enfouis, mais aussi pour apprivoiser l'idée de la mort ou plutôt la fuir. Car pendant une bonne partie de l'aventure, monsieur Zéphyr garde les yeux fermés devant l'impensable; jamais il ne glisse mot à propos de son imminente disparition. Puis, devant les pyramides d'Égypte, un homme lui raconte le parcours d'un chameau qui fut jadis un homme. Une histoire toute simple, sans morale ni grand dénouement, qui trouve son sens dans la continuité, le cycle de la vie: on naît, on vit, on meurt; puis un jour, on revient sous une forme tout à fait différente (une fleur, un animal)… La même roue qui tourne sans cesse. On ne sait pas pourquoi, mais à partir de cet instant, une brèche s'est faite dans le cour d'Ambroise Zéphyr; on sent qu'il commence à accepter sa fin.
Difficile de ne pas faire de lien avec la ville de Shawinigan et la triste annonce de la fermeture de la Belgo au début de l'année 2008. Quand la nouvelle a fait son chemin vers les oreilles de la population, le choc a été terrible. Plusieurs ne comprenaient pas pourquoi le mauvais sort s'acharnait encore sur cet ancien berceau industriel. D'abord, on s'est révolté, puis on a abdiqué. Une décision d'entreprise. Il y a des choses qu'on ne peut changer, et ce même si l'on remue ciel et terre. Impossible de se battre contre plus grand que soi. D'ailleurs, ce n'était un secret pour personne que l'industrie vivait sur du temps emprunté: elle était vieille et peu concurrentielle. Mais comme on dirait, on n'est jamais prêt à la mort de quelqu'un.
J'applaudis cependant la capacité de résilience de la Ville, déjà prête à rebondir. La crise commençait à peine que déjà elle cherchait des solutions pour passer à travers: la diversification de son économie, de l'aide pour les travailleurs de la Belgo, des sous pour assurer la compétitivité de l'usine Laurentide.
Comme dans le livre de Richardson, on n'a aucune idée de ce que l'avenir réserve pour la ville et on ne sait pas si la tempête sera longue et pénible. Mais on sait que la vie est plus forte que tout. La végétation réapparaît toujours quelques années après un feu de forêt. Oui, une éternelle roue.
Une autre preuve…
Coup de théâtre
L'année dernière, presque au même moment, Shawinigan nageait encore en pleine tourmente: on se questionnait sur la continuité ou non du Festival de théâtre de rue. Finalement, la Ville avait décidé de mettre la hache là-dedans et de fonder un nouvel événement, le Rendez-vous des arts de la rue. Un festival dont la première édition a été très critiquée par le public. Ironiquement, on apprend cette semaine que c'est officiel: le Festival de théâtre de rue renaîtra de ses cendres à… Lachine! Ouin… Ça fait un petit pincement au cour.
À chaque fois qu’il y a une fermeture d’usine, les syndicats font toujours miroiter qu’il y a une possibilité de relance ; la preuve est que certaines personnes gardent toujours espoir pour Norsk Hydro. Il ne faut pas qu’il y ait « acharnement thérapeutique ». La mondialisation fait, par exemple, que dans le domaine du textile, notre compétivité n’est plus adéquate et qu’il faut au plus vite délaisser ce secteur d’activité sans avenir. Qui aurait dit qu’à Trois-Rivières, un centre d’appel (Durham) et la fabrication d’éolienne génèreraient tant d’emplois. Comme pour un livre, il faut tourner la page pour avancer. Pour connaître une belle fin, il est important de prendre sa vie en main en étant pro-actif et non nostalgique des belles années passées où ces pans de l’économie étaient très effervescents (forêt, métaux, textile). C’est à nous d’écrire les prochaines pages d’histoire en s’adaptant aux changements planétaires dont l’industrialisation de la Chine dans presque toutes les sphères d’activité.