À force de consommer de la culture, il m'arrive parfois d'avoir peur que ça me sorte par les oreilles ou de tout simplement faire une indigestion. Jusqu'à maintenant, ça ne m'est jamais arrivé. Et je ne crois pas que mes craintes se matérialisent un jour. Je constate néanmoins qu'avec le temps, je deviens de plus en plus critique et de moins en moins tolérante à la médiocrité. Avec la quantité de clones et de produits tape-à-l'oil qu'on nous sert, j'en perds parfois l'appétit. Car à trop vouloir assaisonner la sauce pour qu'elle plaise à un maximum de personnes, on finit par camoufler l'essentiel: le petit goût fin qu'on aimait tant. C'est sans doute pour cette raison que j'éprouve un peu moins fréquemment le sentiment de hâte à la veille d'un spectacle. Sauf que lorsque ça se produit, ai-je besoin de vous dire que j'ai des ailes!
C'est donc dans cet état d'esprit que j'ai couru – et au sens propre; la préparation du souper avait exigé un peu plus de temps que prévu – à la Maison de la culture de Trois-Rivières pour assister au concert Toutes les filles, où quatre auteures-compositrices-interprètes (jamais les mêmes) étaient réunies pour dévoiler une parcelle de leur univers musical. Première surprise (après avoir constaté que je n'étais finalement pas en retard): la salle était pleine et hétérogène. La soirée s'annonçait bonne. Autre surprise: Mara Tremblay ne faisait pas partie du quatuor présent sur la scène. Pendant un instant, je me suis mise à douter. Avais-je par mégarde jeté à la poubelle le communiqué annonçant un changement à la configuration du spectacle? Bien non. Mara n'avait pu se déplacer pour des raisons personnelles. À la place, la pétillante Ginette s'était jointe aux Catherine Durand, Catherine Major et Amélie Veille. Ouais… la soirée s'annonçait vraiment bonne! Car ça faisait déjà plusieurs années, depuis la sortie de son premier album en fait, que j'espérais en vain que le vent pousse l'auteure de Taxi Miki dans nos contrées mauriciennes. Il faut croire que ce jour-là, quelqu'un avait entendu mes prières.
Dès le premier accord, mes yeux étaient donc rivés sur ce petit brin de femme. Pour l'avoir déjà vue en photo, je la savais châtaine et mince. Or, un minuscule bedon a rapidement retenu mon attention. Se pouvait-il que la chanteuse de 31 ans soit enceinte? Eh bien oui! C'est curieux, mais à partir du moment où Catherine Major a lancé la nouvelle (on aurait pu facilement penser que Ginette avait juste pris un peu de poids), j'ai eu l'impression que la foule entière avait changé ses lunettes, et qu'elle s'était mise à «vivre» la soirée différemment. Il y avait quelque chose de délicat et de complice dans sa manière d'accueillir la musicienne, de l'applaudir après chaque chanson. On aurait dit qu'elle voulait la protéger. D'un coup de baguette, elle était devenue un trésor… Oui, tout simplement parce qu'elle portait la vie.
Au fond, c'était peut-être juste moi que la nouvelle touchait. Mais je ne pouvais m'empêcher de regarder le spectacle autrement. Quand, pieds nus, Ginette chantait avec son regard espiègle et sa voix pleine de tendresse, j'imaginais l'être qui nageait dans son ventre. Je me demandais quels sons pouvaient bien le faire réagir, s'il aimait ce qu'il entendait. Je me disais surtout que déjà son destin était lié à la musique, et à la plus belle qui soit: celle de sa mère. Dommage qu'une fois sorti de son cocon, des tubes étourdissants lui pollueront les oreilles… Car la gastronomie musicale, ce n'est pas donné à tout le monde.