C'était la deuxième fois que j'assistais à une représentation de Durocher le milliardaire. Avant celle du Théâtre des Gens de la place samedi dernier, j'avais vu une version montée par le Nouveau Théâtre expérimental à la fin des années 1990. Si les comédiens et de nombreuses répliques avaient assurément changé – l'auteur du texte, le défunt Robert Gravel, y a laissé beaucoup de place à l'improvisation -, le propos de la pièce n'avait pas bougé d'un poil. C'est donc comme un (second!) coup de poing que j'ai reçu l'excellente production de la compagnie de théâtre trifluvienne.
Ça a fait mal! Je soigne d'ailleurs encore quelques ecchymoses… C'est que l'ouvre du cofondateur de la Ligue nationale d'improvisation s'aventure dans des zones taboues; elle fait l'éloge du bien-être engendré par le fric, rien de moins. Avec le personnage du milliardaire Durocher, un homme profondément heureux et entouré d'une famille parfaite, elle confronte la vieille croyance voulant que l'argent ne fasse pas le bonheur. Or, c'est cette maxime qui nous console souvent de ne point posséder de luxueuse villa sur le bord de la Méditerranée ni de rouler dans le dernier modèle de Lotus; qui rend plus supportables les coups durs de la vie tout en donnant un goût divin aux banalités les plus insignifiantes (il faut bien que les «pauvres» puissent également jouir de petits plaisirs).
L'homme à l'incroyable fortune fait table rase de nos bons principes judéo-chrétiens. Selon lui, nul doute possible, la richesse est nécessaire au bonheur. Elle permet d'assouvir chaque désir, chaque caprice. Avec elle, tout est accessible: du meilleur vin qui soit à l'île la plus exotique. Au fait, comment peut-on être malheureux quand tout ce qu'il y a de plus beau se trouve au bout de nos doigts? Effectivement. Un-zéro pour Durocher.
Détestable reflet
Mais que nous reste-t-il quand notre compte en banque est amputé de plusieurs zéros? Si l'argent fait le bonheur, ne pas en avoir implique-t-il d'être condamné à un fade et malheureux destin? Si le richissime personnage semble croire que oui, moi, je modérerais un peu cette affirmation. C'est vrai que l'argent peut aider au bonheur, mais ce n'est pas nécessairement un aller simple pour le paradis. Et ça, la télésérie sur la famille Lavigueur, qui avait gagné un peu plus de sept millions de dollars à la loterie, l'a bien démontré. Il arrive aussi que l'argent amène son lot d'embêtements et de souffrances. Car lorsqu'on possède une importante fortune, on attire aussi des gens envieux qui essayent tant bien que mal d'obscurcir nos nuages roses.
Au fond, ce qui choque dans la pièce de Robert Gravel, c'est, oui, le fait que le milliardaire étale sans gêne ses richesses, mais c'est aussi de réaliser que si ça nous dérange tant que ça, c'est peut-être parce qu'il y a une part de nous qui est jalouse. On voudrait tellement que tout le monde ait une faille; ne pas être seul à vivre des choses difficiles. On décide donc que la perfection, ça n'existe pas, ou plutôt… que ça ne doit pas exister!