<p>L'an dernier, on se souviendra que ça avait déclenché un tollé: Gaston Bellemare, président du Festival international de la poésie de Trois-Rivières (FIPTR), avait lancé quelques pointes bien aiguisées en direction du premier Off Festival de la poésie organisé par le café-bistro Le Charlot. Le percutant quolibet de «parasites» avait retenu l'attention des médias, ce qui avait eu comme effet de choquer bien des gens. Douze mois plus tard, la poussière était retombée et la sortie maladroite du fondateur du FIPTR, oubliée. Mais voilà que pour donner le coup d'envoi de la deuxième édition du Off, qui a lieu du 2 au 11 octobre, ces organisateurs ont mis en ligne sur YouTube trois publicités vidéo qui ne sont pas sans rappeler les événements «malheureux» de 2007. Ces capsules satiriques s'articulent autour de gens ordinaires qui se voient interdire de lire ou d'écrire de la poésie par un drôle de personnage, qui ne se gêne pas pour les traiter de «non-poètes» et de «parasites». </p>
<p>Sauf devant l'amusant court métrage de la boîte aux lettres qui refuse d'avaler les textes écrits par monsieur et madame Tout-le-monde, j'ai ressenti un léger embarras en visionnant les publicités du Off. J'avais l'impression qu'on essayait d'entretenir de vieilles rancunes, qu'on rouvrait bêtement une blessure qui avait commencé à cicatriser. Leurs auteurs affirment pourtant le contraire. Ils signalent que la controverse est chose du passé et qu'ils avaient plutôt envie de faire rire le public. Mais en reprenant intégralement les propos de Gaston Bellemare, ils créent davantage un malaise. Car on se demande si on assiste à un règlement de comptes ou à une plaisanterie. Entre les deux, la ligne est trop mince… Beaucoup trop. Si la tempête de l'automne dernier figure au tableau des souvenirs, pourquoi lui faire référence d'une façon si grossière? Il me semble que ce sujet reste particulièrement délicat. Il aurait par conséquent mérité d'être traité avec plus de finesse. La pub de la boîte aux lettres va selon moi dans cette direction. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle m'a fait rire.</p>
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<p><strong>Se souvenir</strong></p>
<p>Il ne faut pas oublier que la controverse de l'an dernier est surtout née du choc de deux visions, qui méritent d'être respectées. Si le Off donne une voix aux poètes de l'ombre, le fait d'être invité au FIPTR demeure un privilège énorme pour les poètes accomplis (lire «qui ont publié»). Ainsi, on peut mieux comprendre que Gaston Bellemare ait pu percevoir le Off comme une épine dans son pied. Voilà pourquoi, avec un peu de recul, je suis certaine qu'il ne cherchait pas à mépriser les «non-poètes». Sa colère devait plutôt être dirigée vers les organisateurs du Off qui, sans le vouloir, risquaient de faire du tort au Festival international de la poésie. </p>
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<p><strong>Tout le monde en parle</strong> </p>N'empêche qu'avec ce nouveau coup d'éclat, l'équipe du Charlot se paye une belle publicité pour son Off Festival qui «rivalise» avec un géant de la poésie. De cette manière, ses activités ont beaucoup moins de chances de se noyer parmi celles, très nombreuses, du FIPTR. Mais ses organisateurs réussissent surtout l'essentiel, soit de rappeler que leur événement est démocratique, qu'il s'adresse à tous. Dommage quand même qu'ils tapent sur un vieux clou…
Entretenir de vieilles rancunes
Karine Gélinas
Si la poésie veut s’émanciper, c’est son droit. Que des artistes traités de non-poètes et de parasites, uniquement parce qu’ils n’ont pas immortalisé leurs oeuvres sur papier, que ces artistes aient trouvé une façon humoristique, à la portée d’un autre public, les « non-connaisseurs ( ? ) de poésie en s’exposant sur Youtube, je dis Bravo !
Le FIPTR a pour mandat de faire connaître la poésie et surtout de la faire aimer par un large public. Comment attirer un public réfractaire à ce qui est figé et convenu ? Sûrement pas en muselant ses poètes. Au Moyen Âge, les troubadours étaient-ils des non-poètes ? Les slammeurs sont-ils des non-poètes ? On sait que le slam est né dans le cadre de lectures publiques de poésie, dans le seul but de les rendre moins « longues et ennuyantes ». Quand Grand Corps Malade dit dans Rencontres : « J’ai rencontré la poésie ; elle avait un air bien prétentieux […] J’ai compris qu’elle était cool et qu’on pouvait braver ses normes. » N’est-ce pas là une façon d’exprimer sa réconciliation avec la vraie poésie, celle qui donne des émotions, des frissons, celle qui fait vibrer. Qu’elle soit publiée ou déclamée, la poésie est morte si elle ne suscite pas de réactions.
Pour ma part, je ne crois pas que les organisateurs du off-festival avaient l’intention de tourner le fer dans la plaie des organisateurs du « vrai » festival de la poésie. Je pense qu’ils ne voulaient que rigoler un peu aux dépends de cette chasse gardée qu’est la poésie écrite, figée dans le papier pour des siècles des siècles…