Entre guillemets

Tout est possible

Le dernier plan d'Incendies faisant place au générique, une première vague de spectateurs déferle vers la sortie. Plutôt que de plonger illico dans le tourbillon urbain, je profite de la pénombre de la salle de cinéma pour essuyer discrètement les larmes qui coulent le long de mes joues. Ouf! C'est une ouvre coup-de-poing, ce film de Denis Villeneuve. Je prends une grande inspiration, question de dénouer ma gorge et de faire un commentaire à mon voisin de siège, en vain. J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. De toute façon, il n'y a aucun mot pour qualifier ce chef-d'ouvre qui traite du cercle infernal de la violence et de pardon. C'est donc dans le silence le plus complet que j'emboîte le pas vers l'extérieur. 

Dans la voiture, différentes images du film, qui ne sont pas sans me bouleverser, reviennent en boucle dans ma tête: celle de l'amant de Nawal, personnage féminin dont on suit le parcours, tué à bout portant par les frères de cette dernière; d'un autobus rempli de voyageurs musulmans mitraillé puis incendié par des catholiques; d'une famille du Moyen-Orient divisée à jamais en raison de valeurs non respectées; d'un enfant perdu et retrouvé…

En route vers la maison, je remercie le ciel d'être née dans un pays où les conflits se règlent à coups de débats et non par balles, de ne pas croiser des hommes armés chaque fois que je me déplace à pied ou en véhicule. Le monde qui m'entoure a soudainement une beauté nouvelle. Car je réalise la chance que j'ai de pouvoir aimer qui je veux, d'exprimer des opinions sans crainte de représailles, de ne pas côtoyer quotidiennement la violence et de ne pas être «pourrie» par la haine qu'elle engendre.

«Nous sommes en guerre avec une partie du monde qu'on ne connaît pas. C'est un conflit qu'on ne vit pas, un conflit qui a des ramifications dans plein d'autres parties du Moyen-Orient. On assiste ni plus ni moins à l'humiliation d'une partie du monde. Il faut s'intéresser à ces gens-là, se rapprocher d'eux. En tant que cinéaste, je trouve que c'est important de jeter des ponts», avait confié Denis Villeneuve à Voir. Ce soir-là, je sens qu'un lien a été noué À travers cette vibrante fiction, j'ai saisi davantage certaines réalités de cette région du monde, dont cette difficulté à stopper le cycle de la violence et de la vengeance, puisqu'elles s'inscrivent dans le quotidien. J'ai compris aussi qu'il y a beaucoup de chemin à faire pour que le pardon trouve un jour sa place, mais que c'est possible, et ce, malgré toutes les horreurs.