Entre guillemets

Un métier ingrat?

 

Après une séance d'exercices, quoi de plus agréable que d'aller siroter une bière entre amis! C'est clair qu'on reprend les calories perdues, mais diable que c'est bon pour le moral. Alors, question de ne pas rentrer trop tard – mon cellulaire indiquait déjà un peu plus de 21h et il faut dire que mon fils ne change pas son heure de réveil selon mes activités de la veille -, nous avons mis le cap sur un resto-bar à deux pas de l'endroit où nous étions.

À peine avions-nous poussé la porte d'entrée qu'une rumeur nous accueillait. Des discussions se mêlaient au son d'une guitare acoustique et d'une voix douce. Sur un mur, une affiche résumait la situation: ce soir-là, un chansonnier s'occupait de l'animation de 19h à 21h. Tiens, celui-ci avait décidé de prolonger son «contrat»! Je n'allais pas m'en plaindre; ses interprétations et son répertoire semblaient plutôt chouettes. De plus, sa présence allait nous épargner une quantité de tubes populaires de mauvais goût. Une pierre, deux coups.

Le temps de commander ma consommation, j'avais déjà oublié la présence du musicien. Ses chansons ne servaient plus que de toile de fond à nos bavardages. Puis, la fin d'une pièce. Quelques applaudissements timides résonnèrent çà et là dans la salle. En fait, ils étaient si peu enthousiastes qu'ils me firent réaliser que peu de gens, même pas moi, écoutaient le spectacle avec attention. Pourtant, le chansonnier avait beaucoup de talent; même que j'anticipais son départ avec un peu de tristesse. Du coup, je ressentis un léger inconfort: pareille aux autres clients, je montrais une attitude très peu respectueuse envers l'artiste qui donnait le meilleur de lui-même malgré son auditoire indiscipliné. Était-ce pour me déculpabiliser que je me mis à taper des mains encore plus chaleureusement entre chacune de ses interprétations, mais sans pour autant stopper mon papotage?

 

Bonsoir tristesse

Comme la soirée avançait, le chansonnier déposa sa guitare et la rangea dans son étui. Il alla à la rencontre de quelques spectateurs. Sans doute des connaissances ou des habitués. Puis, il s'arrêta à ma table – j'avais omis de vous dire que je le connaissais. Alors que nous le félicitions pour sa performance, je me suis demandé à quoi il pouvait penser à ce moment précis. Acceptait-il poliment nos compliments en se disant que c'était du vent; n'avait-il pas vu nos lèvres bouger pendant qu'il était sur scène? Mais rien dans son attitude ne nous laissait croire qu'il était froissé ou irrité. Il souriait, s'intéressait à nous, était affable.

Quand il nous tourna le dos pour marcher tranquillement vers la sortie, je me suis dit intérieurement que le métier de chansonnier était vraiment ingrat. Car bien qu'ils se produisent sur une scène, ces artisans de la musique sont rarement la vedette de la soirée. En fait, ils l'animent, un peu comme le ferait une radio allumée. Et ils se produisent souvent dans des conditions qui ne sont pas des plus agréables: dans le bruit, devant des yeux fuyants… Pourtant, lorsqu'ils nous quittent, ils laissent un vide énorme. Une chaleur humaine disparaît. Et bien que leur départ nous désole, on oublie parfois d'applaudir à la fin de leur dernière chanson. Trop navrant, vraiment.