Le ciel ne pouvait cacher sa mauvaise humeur ce matin-là. Sa teinte gris-lilas annonçait une averse imminente. Pas question de sortir dehors. J'écoutais donc en boucle l'album Silence de Fred Pellerin. Une façon bien personnelle de célébrer la victoire du musicien-conteur ayant remporté la statuette du meilleur album folk contemporain au dernier Gala de l'ADISQ.
Assise dans ma chaise berçante, une tasse de café au lait entre les mains, je regardais mon fils s'amuser quand la coqueluche de Saint-Élie-de-Caxton se mit à interpréter Mommy, une pièce popularisée par Pauline Julien. Pour ceux qui ne connaissent pas cette chanson écrite par Marc Gélinas (non, il n'y a aucun lien de parenté) et Gilles Richer, elle propose un futur où la langue française, remplacée par l'anglais, n'est plus qu'un vieux souvenir. Doublée de l'image que j'avais devant moi (fiston, grimpé sur le calorifère, jetais un oil par la fenêtre qui donnait sur une rue déserte, baignée par une lumière blafarde), elle me donna froid dans le dos.
À ce moment précis, avec toutes ces histoires de recensement canadien non obligatoire, d'écoles passerelles anglophones et de cégeps bilingues, j'ai eu l'impression que «cet avenir hypothétique» devenait plausible. Du coup, je m'entendais raconter à mon garçon comment c'était autrefois: les longues heures passées à apprendre la grammaire pour écrire la langue de Molière de manière adéquate et non au son, les rassemblements du 24 juin alors qu'on célébrait notre fierté d'être Québécois, les magasins qui portaient encore des noms francophones, les cours de français qui n'étaient pas seulement offerts en option à l'école… Oh, vertige!
Bouleversée par cette vision, j'ai eu envie de prendre mon fils dans mes bras et de lui faire promettre de prendre soin de la langue dans laquelle il avait dit ses premiers mots, qu'elle était l'un des héritages les plus précieux que je lui léguais puisqu'il me venait d'ancêtres lointains courageux et fiers qui avaient traversé l'Atlantique pour venir s'établir sur une terre au climat parfois hostile et qui avaient refusé l'assimilation après la défaite de 1759 sur les plaines d'Abraham, à Québec. Même avec des yeux suppliants, je savais qu'il n'aurait rien compris, sauf peut-être que sa mère était légèrement alarmée, alors je n'ai pas bougé d'un poil. J'ai continué à me bercer en le regardant jouer.
Puis, j'ai à mon tour regardé dehors, comme si je voulais y voir autre chose. Dans la vitre, mon propre reflet. C'est vrai, pourquoi remettre son destin dans les mains d'un autre? N'est-ce pas à chacun d'entre nous de poser des actions au quotidien afin que le merveilleux rêve que nous vivons d'être une île francophone au beau milieu d'une mer anglophone ne tourne pas au cauchemar?
Non, Mommy, it's not too late…