Entre guillemets

Marche ta ville

 

Avez-vous déjà regardé votre ville? J'entends déjà votre réponse: «Franchement, quelle question ridicule!» Mais avez-vous déjà scruté attentivement tous ses minuscules détails? Son architecture bigarrée mêlant des constructions de différentes époques, ses trottoirs fissurés, la forme de ses lampadaires, ses commerces moins fréquentés?

Admettez que, quoiqu'elle nous serve de décor quotidien, notre ville retient bien peu notre attention. À combien de reprises avez-vous eu le sentiment de voir un vieux bâtiment ou un arbre pour la première fois en circulant dans un lieu que vous pensiez connaître comme votre poche? Au volant d'une voiture, absorbé par la route, on ne remarque qu'une infime partie du monde qui nous entoure. Le paysage défile, et notre oil ne capte que les signes et les repères les plus importants. Mais, lorsqu'on circule à pied, c'est un tout autre décor qui s'offre à nous. Un décor souvent rempli de belles surprises.

Ce constat, la Sherbrookoise Chantale Lagacé le fait dans son étonnante expo Plan B, qu'elle présente au Centre d'exposition Léo-Ayotte de Shawinigan, dans le cadre du Mois de la photo. «Si nous avons coutume d'accorder de l'importance à nos objets personnels, à nos souvenirs d'enfance ou de voyage, à notre espace privé […], en revanche, il est moins fréquent de prêter attention aux objets, aux formes et aux bâtiments qui nous entourent surtout dans la ville […]. Pourtant, ils méritent toute notre attention puisqu'ils sont les objets  de notre histoire collective», explique-t-elle dans le dépliant qui décrit sa démarche artistique. Une attention qui va loin. En effet, pour l'une de ses ouvres (Formation sédimentaire), l'artiste-anthropologue s'est amusée à ramasser pendant un an (2007-2008) des objets et des rebuts dans les rues de Sherbrooke. Une récolte pour le moins diversifiée qu'elle expose ensachée sur un mur: bouchons pour les oreilles, pastilles, pièces de monnaie, billet de 10 dollars, boutons, cartons de produits de consommation… Des déchets qui en disent long sur nous et notre société, mais aussi, sur notre mauvaise habitude de prendre nos rues pour une poubelle.

En plus de me faire sourire (c'est quand même amusant de voir tout ce qui peut se consommer), cette ouvre m'a beaucoup fait réfléchir. C'est que ces «trésors urbains» trouvés sur les routes asphaltées de Sherbrooke ne doivent pas être très différents de ceux que nous proposent les rues de Trois-Rivières ou de Shawinigan. Et ces déchets m'ont surtout rappelé qu'on vivait dans une société de «jetez après usage» et de «malbouffe». De mémoire, pas de sacs de carottes ou de cartons de lait, mais surtout des papiers de bonbons ou de gomme à mâcher. Comme quoi il y a encore sans doute beaucoup de chemin à faire pour aspirer à une ville verte et en santé.