Entre guillemets

Les lèvres de T’estimo

 

Si la revue musicale T'estimo affichait une forme humaine, elle aurait, oui, le cour de la comédienne Mélanie Pilon, mais sa voix et ses lèvres seraient sans aucun doute celles de la chanteuse trifluvienne Fabiola Toupin.

Soir de première médiatique. Le vin et de délicates bouchées sucrées, dont d'irrésistibles fraises saucées dans le chocolat (!), circulent dans le foyer de la salle J.-A.-Thompson. Puis, un timbre indique que, dans moins de cinq minutes, le voile sera définitivement levé sur T'estimo.

Sans avertissement – à moins que j'aie manqué le message d'accueil -, la nouvelle création des Productions Fidel crache ses premiers accords devant une salle presque pleine. La machine est bien huilée. Sauf que, malgré le talent de ses artisans, la magie n'opère pas. La raison? Difficile de mettre le doigt dessus. Elle peut être multiple: le trac des musiciens, le choix artistique de commencer par un pot-pourri de chansons plutôt que par une intervention théâtrale, la sélection musicale, l'incroyable volume sonore…

Soudain, tel un ange tombé du ciel, Fabiola Toupin fait son entrée en scène. Sa voix chaleureuse se jumelle à celle plus rugueuse de Stéphane Beaulieu afin de faire revivre un vieux succès d'Aerosmith. Les premières étincelles du spectacle se produisent. Bon, je mens un peu en disant cela, Rita Tabbakh avait quand même réussi à arracher quelques larmes à des spectateurs avec son interprétation de Ne me quitte pas. Mais il reste qu'à partir du moment où la Trifluvienne a ouvert la bouche, la salle au grand complet semble avoir craqué pour T'estimo.

 

Pas juste une simple voix

C'est d'ailleurs à cet instant qu'un long entretien que j'avais eu avec Fabiola Toupin m'est revenu à la mémoire. Il y a de ça environ quatre ans, la passionnée des mots m'avait confié son regret de voir le métier d'interprète peu valorisé: «À l'époque, les Pauline Julien et compagnie étaient considérées comme de grandes artistes qui portaient à bout de bras les poètes du Québec et qui les faisaient connaître partout. Aujourd'hui, quand on est interprète, on est considéré comme une personne manipulée un peu par l'industrie, une personne qui n'a pas de propos, qui a plus ou moins de démarche artistique.»

En entendant Fabiola Toupin chanter Évangéline vers la fin de T'estimo, j'ai compris qu'il fallait ne pas l'avoir vue sur scène pour oser la mettre dans un tel panier. Concentrée, elle faisait corps avec cette chanson inspirée de la déportation acadienne. Sa voix était puissante, pénétrante, irréelle. On aurait cru un cri d'amour venu de l'au-delà.

Pour toucher les gens, il faut assurément avoir une démarche artistique. Il faut aimer son boulot, mais surtout aimer celui des autres (paroliers, compositeurs…).  Et c'est cet amour qui fait qu'à mon avis, la chanteuse est devenue sans le vouloir la vraie voix de T'estimo