Errances

Le juste prix (2) ou comment discréditer livres, lecteurs et libraires

Dans ma chronique du 29 novembre, je souhaitais ardemment que le gouvernement Marois réglemente enfin le prix du livre. Le lundi suivant, un projet de loi a été présenté par le ministre de la Culture et des Communications Maka Kotto, projet qui limiterait à 10% le rabais possible sur la vente de livres neufs imprimés ou numériques pendant les neuf mois suivant leur parution. J’applaudissais, dans ma tête et sur les réseaux sociaux, bien sûr. C’était avant de lire chroniques et billets de blogue de consoeurs et confrères annonçant la mort du livre ou faisant la promotion du libre choix d’acheter ou pas chez Costco notre livre de vampire préféré. C’était avant de lire que la CAQ et le PLQ s’y opposaient, dans des discours populistes sous-estimant les lecteurs et discréditant les libraires et acteurs du milieu du livre. Maintenant, je suis simplement déçue et même triste.

Je suis déçue parce qu’en bloc, deux partis politiques majeurs vont envoyer promener tout un pan de la culture et des travailleurs culturels au nom du sacro-saint néolibéralisme, au nom du «au plus fort la poche». En intervention sociale, on parle de donner les outils à une personne pour qu’elle puisse s’aider. C’est un peu ce que le projet de loi du Parti Québécois se veut être : un outil. On ne fera pas le travail à la place des acteurs du milieu du livre, mais on va les aider à s’aider. Ça me semble juste et simple.

Je suis déçue car on semble croire que le livre, l’objet, est comparable au CD, dans sa forme désuète. On ne peut comparer un objet qui existe depuis des siècles à un autre qui a eu une hégémonie d’une vingtaine ou trentaine d’années. Ça me semble de la mauvaise foi que de réduire le livre à ce qu’il n’est pas : un objet désuet. Le livre, l’objet, n’est pas à veille de mourir, les amis. C’est plutôt notre conception de la lecture et de la littérature qui en prend pour son rhume, ces jours-ci. Le livre, lui, perd des plumes parce qu’on ne sait plus lire, parce qu’on ne prend pas le temps de le faire, parce qu’on fréquente la littérature moins qu’avant, parce qu’elle n’est pas suffisamment valorisée. Ça me semble inconcevable qu’on puisse croire que le médium est désuet.

Je suis aussi déçue parce que plusieurs semblent croire que tous les libraires sont des incompétents de première en matière de plans d’affaires, qu’ils ne savent pas tenir un livre de comptes, passent leur temps à rêvasser ou accumuler des livres dans un monde où ils ne rêvent qu’aux mots et aux histoires. Donnons-leur du crédit. Voyez les exemples fascinants de la librairie Monet, des librairies Raffin ou encore de la Librairie Pantoute : elles sont implantées depuis des années, roulent non pas sur l’or mais sur un travail acharné d’équipes dévouées et passionnées, créent des occasions pour que le public se déplace chez elles – lors de lectures, conférences, etc. -, ont une présence web importante, un service de commande en ligne, même, et sont loin de simplement vivoter en attendant qu’on fasse tout pour elles. Elles créent la demande et l’offre parce que leurs employés connaissent leurs produits et les gens qui les créent.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je le trouve stimulant, le livre. Je peux l’annoter, je peux échapper du thé dessus sans que le système se détraque ou que je doive m’en racheter un neuf, je peux le triturer et l’amener dans le bain ou à la plage, le traîner en voyage sans me le faire voler ou le laisser sur un banc pour donner au suivant le goût de la lecture et des mots. Le livre, l’objet, c’est mon précieux, comme dirait l’autre.

À lire, à faire, à voir

Petites suggestions, en ce vendredi 13 décembre (aucun lien).

À Chicoutimi, les éditions de La Peuplade nous invite à leur cabaret annuel Contes inhabituels, au Bar à Pitons, ce samedi 14 décembre. Avec Marie-Andrée Gill – finaliste aux Prix du gouverneur général 2013 pour son recueil de poésie Béante -, Marie-Christine Bernard, Paul Kawczak, Anick Martel, Charles Sagalane, Sophie Torris, Mélissa Verreault et Jean-Pierre Vidal.

Un peu partout, on cherche chez notre libraire favori l’un des (ou tous) quatre livres rescapés de 2013 dont j’ai fait la sélection. Retour d’outre-mer, Tungstène de bile, Entre avoir et être, et Québec Western valent le détour, promis.