Ça m’arrive plusieurs fois par jour. Plusieurs fois par semaine, même. Je n’ose même pas penser combien de fois par année je succombe.
Oui, je lis par-dessus votre épaule. Tous les jours. Dans l’autobus, dans le métro, dans la file d’attente au café du coin, en classe, en librairie même (et surtout), pour deviner la lecture qui a attiré votre attention.
C’est plus fort que moi. Je vois une dame, un jeune homme, un couple fasciné, un livre à la main – on est un peu moins nombreux, ces jours-ci -, et je m’approche, me place de biais, essaie de lire quelques lignes par-dessus l’épaule, à l’endroit, à l’envers, sur le côté, essaie de deviner – si le titre n’apparaît pas en haut de la page – l’appartenance des protagonistes, le titre de l’oeuvre. Ah oui, tiens, je l’ai lu au secondaire, celui-là! C’était La nuit des temps (Presses de la cité) de René Barjavel. Je me rappelle encore ma prof de français qui criait Je suis à Païkan! comme une amante éprise, reprenant le rôle d’Eléa.
Une dame tourne les pages de son bouquin frénétiquement. Je m’approche, attirée par le livre. Voyeuse, un brin. Ça sent le Mary Higgins Clark à plein nez. Une femme se rend compte qu’il est trop tard et tente d’échapper à un proche qu’elle ne soupçonnait pas être celui qu’il était. Bon. Malgré tout, je me rappelle en avoir emprunté quelques exemplaires à ma mère, dont La nuit du renard (Albin Michel), un classique.
Plus loin, une jeune femme lit attentivement, assise dans l’autobus, Poste restante, Beyrouth (Actes Sud) de Hanan el-Cheikh. Elle l’a emprunté à la bibliothèque. Peut-être la nouvelle bibliothèque Marc-Favreau, sise boulevard Rosemont. Je l’ajouterai à ma liste. Histoire de perpétrer à nouveau le tsundoku, cet acte qui nous amène à se procurer des livres en grande quantité, pour finalement les empiler et se dire – dans mon cas – qu’on les lira quand on aura du temps et qu’on a donc hâte de s’y mettre.
Il y a quelques semaines, j’entamai la lecture du premier roman de Steph Rivard, Les fausses couches (Éditions de ta mère). Lire un roman intitulé ainsi, dans un lieu public, vaut quelques regards perplexes, quelques questionnements. Je poursuivais ma lecture en attendant un cours d’intervention auprès des individus, un après-midi, et une consoeur m’interroge sur ce roman dont le titre l’avait interpellée, elle qui souhaitait trouver une oreille attentive pour raconter son histoire, sa récente perte. Impuissante, je lui dis que le roman n’est pas exactement sur le sujet, mais que je lui en suggère tout de même la lecture.
Impuissance. C’est sans doute le sentiment qui revient le plus souvent, à la lecture des Fausses couches de Rivard. Jumelée à l’émerveillement, l’impuissance n’est pas aussi dramatique qu’au quotidien. On accompagne William, 12 ans, dans les méandres de sa maison-prison, où sa famille vivote dans un imaginaire impossible, effrayant, mais dont les échappatoires sont parfois magiques. Celui de Nathan, par exemple, petit frère de William, vient nous toucher, nous ramène à la nécessité de l’évasion, d’une chambre à soi. L’écriture de Rivard est tout aussi imagée que les univers de ses personnages, juste assez proche de celle qu’on pourrait attribuer à un enfant de 12 ans, mais avec la retenue de l’homme qu’il pourrait devenir. Sans nous révéler l’époque et les lieux, Rivard nous invite à créer notre propre vision de la maison en folie dans laquelle vit William et sa famille élargie. J’y voyais bien sûr la maison de La famille Addams, mais un peu plus lumineuse et propre, avec cependant ce qu’il faut de glauque dans l’ambiance propulsée par le patriarche, qui s’éclipsera rapidement, mais dont la présence se fera sentir suffisamment longtemps, jusqu’à ce que la famille réapprenne à vivre.
On va redéfinir le ciel, les volcans, et les trampolines et les punitions, les conjugaisons, le goût du steak, l’avenir, et nos petites mélancolies quotidiennes. Parce qu’au-delà du désir d’être sevré, il y a la vie, tout le temps.
C’est cette lecture qui, dans le métro-ligne-orange-direction-Montmorency, m’a value le plus de regards interrogateurs. Il y a certainement aussi la conjugaison du titre et de la couverture signée Benoît Tardif. Les éditions de ta mère ont le tour, vraiment. J’ai bien rigolé et j’en ai tiré une chronique. L’expérience sociale était réussie.
Les fausse couches
Steph Rivard
Les éditions de ta mère
2013
143 pages
Ha! C’est moi qui lisais ‘Poste restante, Beyrouth’ dans l’autobus. (Je l’ai effectivement emprunté à la biblio Marc-Favreau.) & j’ai très hâte de lire ‘Les fausses couches’!
(Merci pour cette chronique — j’ai lu tous vos billets après être tombée sur celui-ci, & je trouve que c’est très intéressant & très enthousiasmant, le regard que vous portez sur le monde du livre.)
Je vous remercie pour vos bons commentaires, Amélie! J’espère aussi que votre lecture fut agréable : elle avait l’air passionnante!