Errances

Chronique sportive

Il fallait bien que j’attende la fin des Jeux Olympiques pour aborder le sport dans une chronique littéraire. Déboulonnons tout de suite le mythe : je lis autant que je cours, nage, roule. Haruki Murakami a d’ailleurs fait un parallèle intéressant entre l’écriture et le sport dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond, 2011), où il cultive patience et persévérance en s’entraînant, et tenacité, concentration et talent dans l’écriture. Il surmonte aussi la douleur, la souffrance, les embûches du corps. Comme quoi corps et esprit sont encore une fois étroitement liés. Oui, les exploits sportifs m’impressionnent. La force du corps, de l’esprit; toute la concentration dont font preuve les athlètes de haut niveau; tous les calculs auxquels ils procèdent et se soumettent. Toute la folie que cela peut parfois entraîner, aussi. Ce dépassement de soi n’est-il pas le dépassement de sa peur?

 

The Oatmeal, cet artiste qui sévit principalement sur le web, maître de la bulle et des situations embarrassantes, s’est offert une pléthore de nouveaux fans, l’été dernier, lorsqu’il a fait paraître la BD intitulée The terrible and wonderful reasons why I run long distances, où il explique que c’est parce que, «deep down», il est ce qu’il appelle The Blerch. Son pire ennemi et son meilleur motivateur, en bout de ligne, celui qui le poussera à atteindre le vide. La clarté du vide, plutôt. L’histoire est longue et belle, et je ne m’y attarderai pas trop longtemps, mais suffisamment pour noter ceci : ce qui fascine dans cette BD signée The Oatmeal est non pas la qualité du dessin ou du texte, mais bien l’histoire elle-même, qu’on sait trop vraie pour être inventée. Parce que cette histoire, n’importe quel coureur de fond l’a vécue, un jour ou l’autre. Et n’est-ce pas ainsi que tout bon livre publié sur la course commence? Par cet excès de vanité qui, somme toute, nous motive à aller au-delà de soi? Oh, de nombreuses publications se veulent plus techniques, bien sûr (Courir au bon rythme, La course à pied au féminin, etc.), mais celles qui nous marquent sont celles qui racontent l’histoire du dépassement de soi d’un coureur ou une coureuse, ses difficultés surmontées, sa maîtrise de soi, sa clairvoyance, etc., un peu comme Pas : chroniques et récits d’un coureur (Éditions La Presse, 2013), du chroniqueur Yves Boisvert.

 

Et je parle ici de course puisque je la pratique, mais il en va de même pour le hockey, le ski de fond, l’équitation et tous ces sports qui fascinent, qui forcent le contrôle de soi et, du même coup, l’évasion de ce baîllon que le sportif s’impose pour mieux calculer ses performances. Parce qu’au fond, il faut parfois être indomptable pour atteindre la plus haute marche du podium. Même en Russie.

 

Jeux Olympiques et Russie m’amènent à cette nouvelle publication de Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud). Nadia Comaneci en est le centre. Celle qui a détraqué le monde de la gymnastique aux Jeux Olympiques d’été de Montréal, en 1976, mais qui gagnait déjà tout depuis un bout de temps, avec sa perfection de jeune gymnaste, stoïque, calculatrice, innocente, silencieuse, Roumaine issue du communisme de Ceaușescu, défiant la Russie et ses gymnastes «trop vieilles», défiant le monde entier avec ses coups de pieds envoyés à la lune.

 

Finement écrit, le roman de Lafon s’impose par sa recherche et sa connaissance profonde de la vie de Nadia Comaneci, de ses plus jeunes années à sa fuite vers les États-Unis; des annés Béla; des commentaires des journalistes et chroniqueurs sportifs qui détaillaient son corps fragile et innocent, puis «flasque» et «gros», alors qu’elle passait le cap de la puberté; de son passage à Bucarest, sous la direction du régime communiste du Conducător qui en avait fait sa marionnette. Enfin, possiblement, car Nadia C. – comme Lafon la surnomme fréquemment -, cette spécialiste de la poutre, avait cet air impassible qui permettait à ses interlocuteurs et à la Securitate de se demander si elle obéissait, réfléchissait ou si elle ne tramait pas un autre plan.

 

Présenté comme un roman, le texte de Lafon propose tout de même un drôle de dialogue inventé avec la gymnaste, où cette dernière remet en question le travail de l’auteure, se fâche, explique, remet les pendules à l’heure, se cache, rit, hésite, engueule, partage. La bipolarité du récit se fait sentir dans ces interruptions rêvées de Comaneci et la réponse que donne Lola Lafon, tout ouïe ou perturbée. Pourtant, La petite communiste qui ne souriait jamais fascine, tout comme ses exploits sportifs racontés avec brio par l’auteure. Si plus d’une génération a été témoin de l’explosion de Nadia Comaneci à Montréal, en 1976, reste que plusieurs d’entre nous n’y étions pas, n’existions pas, et ne connaissons que l’histoire de la-gymnaste-qui-a-eu-10-partout par ces exacts mots, sans réellement être au courant des événements entourant cette performance magistrale et mémorable, qui reléguait ses compétitrices soviétiques en arrière, derrière NA-DI-A qui a motivé des milliers de petites filles à suivre des cours de gymnastique, et des entraîneurs à revoir leurs programmes.

 

Tantôt haletant dans ses descriptions de performances sportives, tantôt posé dans la critique du régime communiste du Camarade roumain, tantôt réfléchi lors des passages de l’Est à l’Ouest, d’Onesti à Bucarest, de Béla – ses meilleures années – à P. – ses pires -, le récit de Lola Lafon sur la vie de Nadia Comaneci mérite la même attention qu’on donnerait à une joute de hockey où la Suède et le Canada se disputent la médaille d’or.

 

Ah oui, dimanche matin, je terminais La petite communiste qui ne souriait jamais, dans mon lit, et je me disais qu’il était plutôt comique de savoir qu’au même moment, des millions de téléspectateurs étaient rivés à leur écran pour s’y voir remporter la médaille d’or. «S’y voir» parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, en bout de ligne : de s’approprier la victoire, l’intérioriser comme si elle était nôtre; notre dépassement de soi, notre vision du jeu, notre exploit sportif qu’on tentera de reproduire dans quatre ans. Pas de soucis, on le fait tous. Ils l’ont tous fait pour Nadia Comaneci et nous ne faisons pas exception avec nos soeurs Dufour-Lapointe et nos équipes de hockey.

 

La petite communiste qui ne souriait jamais

Lola Lafon

Actes Sud

318 pages

2014

La petite communiste qui ne souriait jamais
La petite communiste qui ne souriait jamais
Lola Lafon
Actes Sud