Errances

Et puis, le 12 août?

Hier, avait lieu la journée Le 12 août, j’achète un livre québécois. Qu’on soit en accord ou non avec la formule de l’événement mis de l’avant par les auteurs Patrice Cazeault et Amélie Dubé, il faut noter que la journée fut un franc succès, un peu partout au Québec. À ce sujet, j’ai interrogé quelques librairies et leurs libraires, histoire de vérifier si le public a répondu à l’appel. J’attends toujours des réponses, mais Steph Rivard de la Librairie Raffin (Montréal) et Marlène Côté de la Galerie du livre (Val-d’Or) ont déjà été assez gentils pour partager quelques informations à ce sujet.

Si à la Librairie Raffin, on compare la journée du 12 août à une des journées de vente du temps des Fêtes – i.e., si mes souvenirs de service à la clientèle sont exacts: travailler comme une poule pas de tête tellement le commerce est rempli -, c’est que les gens se sont sentis interpellés par la cause. Située dans un quartier à tendance engagée culturellement – Rosemont-Petite-Patrie, le bastion de Françoise David -, la Librairie Raffin peut se targuer d’avoir contribué de façon phénoménale à l’événement. Un chiffre d’affaires triplé voire quadruplé, en cette journée du 12 août, voilà ce qui a attendu Raffin, en fin de journée, hier.

Même son de cloche du côté de la Galerie du livre de Val-d’Or, selon Marlène Côté. La librairie de la 3e avenue a écoulé 75 livres québécois, ce qui, selon Mme Côté, représentait le quadruple des ventes «d’un mardi pluvieux ordinaire».

Et qu’achetaient les lecteurs, en cette journée qui visait à «transformer le marché du livre, ne serait-ce qu’une journée»?

Chez Raffin, le top 5 des ventes s’articulait comme suit: 1. La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen (Le Quartanier); 2. Drama Queen de Vickie Gendreau (Le Quartanier); 3. Pourquoi Bologne d’Alain Farah (Le Quartanier); 4. N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime de Gaétan Soucy (Noir sur blanc); et 5. Le grand Antonio d’Élise Gravel (La Pastèque).

Steph Rivard affirme aussi que les libraires ont vu défiler un «beau panorama» de titres, allant du polar québécois qu’on dit si souvent propice aux lectures d’été – Sous la surface de Martin Michaud (Éditions la Goélette) fut un très bon vendeur – au dernier Biz, Mort-terrain (Leméac), en passant par la BD québécoise qui fut aussi très prisée, avec des titres signés Zviane (Éditions Pow Pow, Éditions La Pastèque), ou encore Poulet grain-grain de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine Rousseau (La mauvaise tête).

Si on nous affirme que l’expérience sera définitivement à répéter, il semble aussi que les lecteurs furent très curieux et demandaient conseil aisément, ce qui est toujours très agréable, pour les libraires. Sortant de leur zone de confort ou des recommandations faites par les médias – qui ne sont pas nécessairement des titres québécois -, les lecteurs ont cherché à découvrir ce qui se tramait chez eux. Même notre Ministre de la culture, Mme Hélène David, est passée chez Raffin, rue Saint-Hubert, et en est repartie avec cinq bouquins locaux sous le bras, dont La fiancée américaine d’Éric Dupont (Éditions Marchand de feuilles), Pomme S d’Éric Plamondon (Le Quartanier) et L’Histoire du Québec en 30 secondes de Jean-Pierre Charland et Sabrina Moisan (Éditions Hurtubise).

Encore plus de livres québécois

Du côté de la Librairie Monet (Montréal), le succès fut aussi fulgurant et, si vous ne l’avez déjà vu, on peut consulter la liste des meilleurs vendeurs sur sa page Facebook. On retrouve à nouveau certaines valeurs sûres mais il est intéressant de voir à quel point les choix varient, d’une librairie à une autre. Ici, exit les titres du Quartanier (quoi qu’il ne doivent pas être bien loin!), c’est Boréal qui domine, avec Métis Beach de Claudine Bourbonnais, C’était au temps des mammouths laineux de Serge Bouchard et bien plus.

Aux librairies Pantoute, à Québec, on offrait même un rabais de 10% sur les livres québécois, le 12 août. Bien qu’il n’était sans doute pas nécessaire de motiver les lecteurs ainsi – ils ont bien répondu à l’appel ailleurs, sans pour autant bénéficier d’un rabais -, le geste fut sans doute apprécié des consommateurs pour qui payer moins cher motive le lieu d’achat.

Enfin, après ce succès, que restera-t-il de la journée du 12 août? Les lecteurs prendront-ils l’habitude d’acheter des livres québécois? Un sondage maison, «sans prétention» (auquel il est toujours possible de participer), proposé par Mme Mireille Duval, résidente de Québec, sur la page officielle de l’événement Facebook suggère que les lecteurs ne se sont pas contentés que d’un seul livre québécois et ont plutôt assouvi une soif de lecture locale qui ne demandait qu’un petit coup de pied au derrière! Avec plus de 250 répondants, à l’heure actuelle, on note déjà que les achats en format imprimé dominent encore les achats en format numérique (on rappelle que c’est un sondage maison) et que les acheteurs allaient généralement jusqu’à acheter deux, trois livres ou plus, plutôt qu’un seul.

Du côté des choix des lecteurs, les titres de Samuel Archibald, Roxanne Bouchard, Stéphane Dompierre, Vickie Gendreau, Dany Laferrière, Marie-Renée Lavoie, Martin Michaud, Geneviève Pettersen, Nathalie Roy, Kim Thúy, Larry Tremblay, et Zviane sont parmi les plus populaires, tous titres confondus.

Enfin, l’idée de cette journée de valorisation des achats locaux n’est-elle pas dans l’air du temps, qu’il s’agisse de littérature, de bouffe ou de vêtements? Mettre en valeur la littérature québécoise et la consommation de celle-ci fut un geste noble de deux auteurs qui n’ont sans doute jamais pensé voir défiler une vague aussi forte de consommateurs de livres, en plein mois d’août, un mardi. Le plan était de recommencer l’an prochain en suggérant l’achat de deux livres québécois, plutôt qu’un, mais le travail de conscientisation ne devrait-il pas se faire au quotidien? Je pose la question car je me demande comment créer cette habitude. Si les lecteurs enthousiastes qui ont marché ou roulé jusque chez leur libraire étaient prêts à le faire un mardi 12 août, n’auraient-ils pas la capacité de le faire au moins une fois par mois?