Empêcher un petit criminel d’en devenir un grand par la réinsertion sociale n’est pas une mince tâche. C’est toute une cause. La plus impopulaire, mais peut-être la plus noble. Impopulaire, parce qu’il s’agit de criminels. Noble, parce qu’elle permet à des hommes et à des femmes de retrouver une certaine dignité.
Il y a toujours une part de responsabilité collective derrière chaque crime. C’est ce qui justifie de faire de la réinsertion sociale des personnes incarcérées une cause tout aussi importante que celle du sida, de la pauvreté ou de la malnutrition des enfants.
Mais comment expliquer aux «honnêtes citoyens» qu’un détenu  récidiviste a autant besoin d’aide qu’un malade du sida?  Qu’avec un taux de récidive d’au moins 50 % sur l’ensemble des  détenus au Québec, il est temps de faire de la réinsertion  sociale une priorité?
  La réinsertion sociale est la solution la plus économique pour  obtenir une véritable sécurité publique. Mais on n’en parle  pas. De quoi donc souffre cette cause pour qu’elle soit aussi  impopulaire?
  Elle est victime d’un manque de beauté; d’un manque de  marketing.  
De nos jours, les causes ne se contentent pas d’être bonnes, elles doivent aussi être belles. Pour cela, elles s’associent à des noms célèbres. Aujourd’hui, une bonne cause ne peut exister sans être associée à un artiste populaire.
Quel organisme communautaire n’a pas fait appel à un artiste pour vendre sa cause? Quel gérant d’artiste n’a pas magasiné, dans le marché florissant des bonnes causes, celle qui colle le mieux à l’image de son client? Parce qu’une cause, disons-le, est très payante pour un artiste, qu’il soit débutant ou non. C’est une pub gratis.
Je suis pour l’engagement social des artistes. Depuis huit ans, j’ai invité moi-même quelque deux cents artistes québécois à rencontrer quelque quatre mille détenus de Bordeaux dans le cadre de l’émission radiophonique Souverains anonymes. Je les invitais en tant que citoyens. La plupart de ces artistes participent à la vie de leur communauté sans trompette ni tralala. En rencontrant les Souverains de Bordeaux, ils ont contribué à élargir l’ouverture des personnes incarcérées à la communauté.
L’artiste-citoyen est celui qui est au service d’une cause  et non l’inverse. Ce que retiennent les auditeurs de l’émission  Souverains anonymes, c’est moins les réponses des  artistes-invités que les questions des Souverains. Des  questions dans lesquelles les détenus se racontent.
  Rien dans leurs propos qui pourrait conforter nos préjugés sur  les criminels.  
De ces rencontres entre artistes d’en dedans et artistes de dehors est né l’album Libre à vous, lancé en octobre dernier. Un album-bénéfice au profit du Fonds des détenus de Bordeaux. Une cinquantaine d’artistes connus ont accepté de mettre leur talent au service des créations des détenus. L’objectif ultime d’une telle démarche est simple: rappeler que la réinsertion socialeest une cause noble, qui mérite d’être défendue.
En tant qu’initiateur du projet, je souhaitais que les  Souverains anonymes qui ont participé à l’album défendent  eux-mêmes leur cause. Aucune vedette n’a été «élevée» au rang  de porte-parole officiel.
  Pourquoi? Parce que lorsqu’un artiste porte-parole participe à  un talk-show, l’animateur le questionne plus souvent sur son  dernier voyage ou sur sa dernière diète que sur la cause qu’il  est censé représenter. Généralement, seules les trente  dernières secondes de l’entrevue sont consacrées à la cause de  l’artiste.  
Je me suis donné le droit de refuser toute entrevue qui  reléguerait les représentants de l’album Libre à vous au rang  de bouche-trou. Pas question non plus d’envoyer seule une des  vedettes de l’album à une émission.
  Mais les recherchistes de certaines émissions n’ont pas vu la  chose sous cet angle.
  La recherchiste d’une émission de Radio-Canada a poussé le  ridicule jusqu’à faire appel à des artistes connus qui ne font  même pas partie de l’album pour en parler! Une autre voulait  recevoir Christian Mistral (auteur d’une des chansons) pour lui  faire dire des choses croustillantes sur ses déboires avec les  femmes.  
Dans un talk-show, on voulait bien recevoir un ex-détenu,  mais davantage pour parler de son passé criminel que pour  discuter de son cheminement vers la réinsertion. Certains m’ont  avoué qu’il n’était pas question d’associer leurs prestigieuses  émissions à d’ex-criminels.
  Heureusement, il y a les autres émissions – que je salue bien  bas – qui ont eu le courage de résister à la médiocrité.
  Aujourd’hui, certaines bonnes causes en cachent d’autres.  Cherchez l’erreur.
Bonjour Mohamed Lofti
j’aimerais vous parler, pouvez vous m’écrire à mon courriel SVP?
[email protected]
cinéaste