A Canal Vie, une actrice nous confie qu’elle n’aime vraiment pas faire la vaisselle. «Le quotidien, ça m’ennuie, si vous saviez…» Un peu plus tard, au même poste, une chroniqueuse nous expliquera comment réussir une fellation.
A TVA, un politicien nous raconte de quelle façon il s’est sorti de l’alcoolisme. A TQS, une chanteuse nous énumère ses tics avant d’entrer en scène. A Radio-Canada, une actrice nous parle de son angoisse de vieillir.
Dans les magazines, les acteurs nous dévoilent tout: ce qu’ils font quand ils n’ont rien à faire, la marque de leur dentifrice, la crise de coliques de leur petit dernier, la couleur de leur petite culotte. Ils nous parlent de leur vie privée sur le même ton badin qu’ils emploient quand ils ploguent leur dernier livre, leur dernier show, leur prochaine pièce de théâtre.
Nous ingurgitons le tout, en essayant tant bien que mal de donner un sens à ce flot, à cette logorrhée de détails, tous plus insignifiants les uns que les autres. Pour réaliser finalement qu’il n’y a pas de sens à tout ça et que, dans le fond, on n’en a rien à foutre des drames domestiques, des crises d’urticaire et des problèmes intestinaux des membres de l’Union des artistes.
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Nous vivons à l’ère de l’indiscrétion.
Aujourd’hui, toute chose est bonne à dire: «Pardon, monsieur Chose, je remarque que vous avez un petit bouton, là, sur la lèvre supérieure. Qu’est-ce que c’est?
– Oh, ce n’est rien, juste un petit herpès que j’ai contracté l’autre soir. Ma femme était partie avec le plus jeune, j’étais seul dans un bar et…»
Pardon, madame l’ex-ministre qui allez animer une émission de télé, allez-vous emmener votre chien dans le studio d’enregistrement?
Dites-moi, monsieur le pdg, quand vous êtes tout nu dans votre salle de bain, assis sur le siège des toilettes, vous arrive-t-il de vous gratter le cul?
Nous vivons à l’ère de l’indiscrétion, et nous nous trouvons très forts. Car nous confondons indiscrétion
et transparence.
Nous croyons qu’en connaissant les dessous de la vie privée des gens, nous sommes vaccinés, immunisés contre l’abus. Nous ne pouvons pas être bernés, croyons-nous, car nous savons tout.
Or, rien n’est plus trompeur. La vue n’a jamais été aussi bouchée. Rien n’est limpide, clair et simple. Tout est opaque, caché, compliqué.
Dans les salles de rédaction, on demande aux journalistes de pédaler comme des fous pour découvrir si Céline Dion a toujours ses vrais cheveux, ou si elle a eu recours a des postiches.
Pendant que Liza Frulla épelle le nom de son chien devant une vingtaine de journalistes qui se sont déplacés pour assister à une conférence de presse, pas un mot n’est dit sur le contenu de sa nouvelle émission, ni sur les tractations qui ont eu lieu entre une députée libérale en fonction et une télévision d’État sous la houlette du gouvernement fédéral.
Le potinage brouille les pistes. Dans le combat qui opposait les journalistes aux faiseurs d’image de toutes sortes, il semble que la seconde catégorie l’ait emporté haut la main.
Quand les relationnistes lisent les journaux, ils ne se gênent pas pour dire: «C’est ma nouvelle» ou, pis encore: «C’est ma page». Ça en dit long, non?
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Regardez les informations télévisées. C’est devenu la norme de nous envoyer, en rafales, un paquet d’informations internationales en pleine figure, sans nous les expliquer. On passe du Congo à l’Afghanistan, de la Chine au Soudan, puis bang!, on finit ça avec un petit reportage «humain», question de ne pas laisser les téléspectateurs sur une note négative.
On n’a rien compris du monde dans lequel on vit mais ce n’est pas grave, on peut se coucher sachant qu’un autre petit monsieur pas de dents va célébrer ses cent trois ans dans le fin fond de la Beauce. On a même envoyé une caméra pour le filmer en train de souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire. How touching…
Quand Charles Sirois, l’un des hommes les plus puissants et les plus influents du Canada, acquiert une partie importante des actions de la maison de production Coscient, deuxième boîte en importance au pays, rares sont ceux qui se donnent la peine de nous expliquer les enjeux de cette transaction. Un jour, pourtant, Charles Sirois sera omniprésent dans nos vies: du téléphone que nous utiliserons aux émissions de télévision que nous regarderons, en passant par les sites Internet que nous visiterons: il deviendra incontournable. Or, combien de Québécois connaissent son nom?
A voir les cotes d’écoute des émissions les plus regardées et le tirage des magazines les plus lus, on en conclut que le Québec est devenu une espèce de Potin Land, une terre de prédilection pour tous les Michel Girouard et Francine Grimaldi de ce monde, une société où le détail «crunchy» pèse plus dans la balance que l’information essentielle.
On croit tout savoir. Mais, dans le fond, on n’a jamais été aussi ignorant.