Au Québec, il n’est jamais bon de choquer. Les femmes restent «dames» en toutes circonstances; les hommes, silencieux; les pauvres, muets. C’est ainsi que la parole est partagée depuis des lustres. Pensons à tous nos exercices de consensus, de parlure stérile, à nos sommets stagnants.
Ainsi, lorsqu’apparaît ce que l’on qualifie non sans un certain dédain de la «Trash TV», on ne saurait se surprendre que l’on se trémousse dans les officines. Moins comique cependant est l’appel à la censure, à la mise à l’index par les pseudo-intelligentsias subventionnées. Traduire: nous n’aimons pas ces «freak shows». Donc, personne ne devrait avoir le droit de les regarder.
Or, cette télé leur fait un bras d’honneur.
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Par-delà la rhétorique de l’indignation, ces détracteurs ont bien compris que venait de sonner le glas de la télé-ennui, de la télé des amis, de la télé qui a les moyens de se foutre de la cote d’écoute au nom de grands idéaux d’édification des masses. Suprême malhonnêté intellectuelle, ces néo-censeurs prennent bien soin de lire le spectacle au premier degré pour être certains de n’y voir que provocation, grossièreté et mauvais goût.
Ce qui caractérise la «télé-poubelle», comme ils disent, c’est que l’on intercepte en fait le moment cru, réflexe, de la pensée non censurée. Celle de l’usager, du bénéficiaire, du numéro d’assurance sociale, de l’étudiant de cégep, du citoyen ordinaire dont on ne veut, par principe, rien savoir. C’est cette violence vécue, ressentie qui captive ici plus encore que les péroraisons post-modernes usées, explications lénifiantes et autres salmigondis. La même violence qui ne passe jamais à l’écran, qui y est interdite de séjour.
Ce qu’on aime ici, c’est discuter des problèmes dans un cadre feutré avec des universitaires de service dont on connaît à l’avance l’innocuité du propos, ou des figurants mièvres qui diront, non sans componction, ce que l’on doit penser. Pourquoi alors ne pas interdire toutes les lignes ouvertes, ne diffuser que leur version éditée, scannée, ne garder que le commentaire beige pour faire sérieux?
La liberté d’expression existe en fait au Québec tant qu’elle ne porte pas à conséquence. Mais vivre dans une société ouverte, n’est-ce pas d’abord l’éducation à la tolérance, à des arguments dont la forme nous déplaît? Et le droit de cité de ceux que l’on préférerait ne pas voir en ondes?
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Vouloir faire de la télé un instrument pédagogique, c’est n’avoir rien compris du médium. La télé ne saurait être autre chose que la mise en commun d’émotions. C’est bien pour cela que les médias traditionnels s’intéressent, hypocritement, bien plus à la robe «séminale» de Monica Lewinsky qu’à la bande de Gaza. Ceux qui disent le contraire font des relations publiques, ou sont des préposés aux versions officielles.
La télé est déjà pleine de mauvais cours de croissance personnelle, de musak, de téléthons. Où commence l’indécence? Au beau milieu des chaumières, alors que surgissent des inconnus hirsutes et qui crient?
Leurs arguments, il est vrai, sont primaires, drus et courts. Cependant, le poids de l’émotion est enfin porté à la représentation. Le non-dit des tensions sociales s’exprime et heurte. Faut-il pour autant les refouler et se priver de catharsis? Exit la télé-service, welcome le dionysiaque. Nos seuls psychodrames collectifs ne seraient-ils que référendaires? Peut-être que les sociétés frileuses – celles où l’on ne tolère aucun écart de langage – sont déjà mortes de froid.
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En remetttant en question les formes convenues de l’échange, cette télévision met le groupe en contact avec l’inconnu de ses peurs et la violence qui traverse la société.
Désormais, il faudra s’habituer à voir débarquer les squatters dans les banlieues cathodiques gardées et bien proprettes.