Robert Untel est invité à cette émission de télé qu’on dit de gauche, critique et essentielle. Il s’exprime: «Crisse de gangs d’hosties d’épais de câlisses de trous de cul de mangeux de marde, allez donc chier maudits B.S. de fonds de poubelles, d’écourants pourris.» Robert ravale la bave qui lui coule au menton. Il baise les pieds de Robert Gillet et se signe devant Gilles Proulx en pompant l’adrénaline de son système circulatoire. Robert a un sourire béat. Il vit dans un monde libre.
Nous vivons avec lui dans un monde d’apparences où l’on permet aux esclaves d’offenser les maîtres. Catharsis au profit du système qui a produit cette rage. Le lendemain de l’émission, Robert se présente au travail, met sa petite carte de paye dans le «punch». Clic! Il se rend à sa machine, s’endort et la machine lui mange la main. Le patron lui fait une remontrance parce qu’il n’a pas respecté les consignes de sécurité. Robert ne s’en prend qu’à lui-même et accepte volontiers le congé payé.
Une main en moins, Robert retourne chez Robert Gillet. On lui passe le micro. Robert est vert pomme. «Les hosties de trous de cul de câlisses de gouvernements d’enculés qui sucent nos taxes pour les ivrognes à plumes qui font des tabarnaks de barricades, on les ferait toutes sauter les fédéralisses puis les séparatisses; de toute façon, c’est toute la même crisse de gang de câlisses, d’hosties, de tabarnaks.» Robert reprend ses esprits et rend le micro. Robert Gillet lui donne une tape dans le dos. Gilles Proulx reste coi devant ce témoignage qui le dépasse. Robert rentre chez lui.
Le lendemain, il retourne au travail. Manchot. On lui annonce que la compagnie va fermer, because la faiblesse du dollar canadien. Robert court en quatrième vitesse à l’assurance chômage. Il rentre chez lui, coince le téléphone entre son menton et son épaule, signale chez Arthur à CKVL. On prend son appel. «Les maudits chiens sales de politiciens d’enfants de putains mangeux de marde qui nous exploitent avec nos taxes pour les donner aux Nègres qui passent en fraude à l’assurance maladie toute leur câlisse d’hostie de famille d’Haïti, quand c’est pas les tabarnaks de Jaunes qui sont un milliard et demi à veille de prendre nos jobs puis nos femmes…» Arthur, de becquer bobo, et de passer à un autre appel. Robert dépose le combiné, soulagé.
Au bout d’un an, une main en moins, le chômage qui tire à sa fin, Robert va s’inscrire comme prestataire de l’aide sociale. En revenant des bureaux du gouvernement, il en profite pour s’acheter une p’tite 24, histoire de faire passer le motton. Il rentre chez lui qui n’est plus à lui, puisque sa maison a été reprise par la banque et qu’il doit déménager. En chambre. Robert n’a plus le téléphone. Il sort sur son balcon et crie à pleins poumons. «Maudit câlisse de monde pourri de gangs d’enfants de chienne d’exploiteurs de mangeux de marde de René Angélil castré de Céline Dion à marde, c’est toute de la marde de Bouchard à Chrétien des Expos aux Canadiens pas de couilles à c’te maudite ville d’émigrés puants qui prennent nos jobs puis nos femmes…»
Robert retourne dans sa chambre. Il attrape le cordon du chiffon qui tient lieu de rideau, en fait une potence et se pend. Pimpon! Pimpon! Le car de reportage de la télévision arrive en quatrième vitesse. Gros plan des yeux révulsés, musique d’ambiance. Robert a un rictus en forme de «mange d’la marde». Consigne du reporter: «Envoye Méo, shoote la bave sur le menton.» Montage Musique-Plus. La misère dans toute son horreur. Fait divers qui nous dit «d’aller chier». Exercice prétendument nécessaire d’étalage de la misère. Une recherchiste d’une émission qu’on dit de gauche, critique et essentielle tombe sur le topo…
Robert Gillet a invité Arthur, Proulx et tout ce que les médias québécois comptent de libérateurs, de démocrates, entendons ici de gens de paroles, mais surtout d’invectives. Gilles Untel prend le micro. «Les hosties de mangeux de marde de câlisses d’enfants de chiennes d’égorgeurs de société de pelleteux de nuages de B.S. puants qui font des déficits avec nos taxes d’enfants de marde écourante!» Un coup de feu retentit dans la foule…
Dans cette assemblée de têtes d’oufs où l’on croit participer à la marche inexorable vers la liberté, un homme à tête d’homme s’est levé. Il a tiré un coup en l’air, pour faire taire tout le monde, avec un fusil en forme d’esprit. Les autres le regardent comme s’il avait la tête d’un tueur de masse. L’homme à tête d’homme sourit, ouvre son manteau chargé de dynamite et tire sur la ficelle qui dépasse de sa poche. Tout explose. La démocratie du «va chier mange d’la marde» monte au ciel en fumée.
La liberté ne fait pas que parler, elle met le doigt sur le mensonge. Elle chuchote et a besoin de temps. Elle connaît toute la force répressive d’une fausse tolérance qui s’accommode des insultes. Les philistins des médias ont le derrière en cul-de-sac, ils chient des mots dans la cuvette des rêves évanouis. Leur raison est celle de celui qui force le plus fort. Menteurs et faiseurs d’image sont leurs amis.