Rachida Azdouz
Psychologue
En période préélectorale, et à une époque de marasme économique où tout un chacun se cherche désespérément un électorat ou un segment de marché à exploiter, la question des jeunes est une véritable mine d’or.
Prononcez les cinq lettres magiques J-E-U-N-E devant n’importe quel directeur d’école ou autre pédagogue en quête de cheval de bataille (ou soucieux de se débarrasser de sa charge d’enseignement pour se consacrer à un «projet spécial»), et vous aurez le sentiment d’avoir prononcé le SÉSAME qui ouvre toute grande la porte menant aux programmes de subventions ou à la démagogie la plus grossière.
Cet engouement ne touche pas que les écoles. Dans tous les secteurs d’activité, on semble obsédé par la survie des jeunes en difficulté et par la qualité de vie des «autres», puisque le monde des jeunes semble désormais divisé en deux.
D’un côté, les «pôvres» petits livrés à eux-mêmes dans un monde compétitif et sans pitié, une clé dans le cou et une couche d’ozone suspendue au-dessus de leur tête. De l’autre, les «petits choux» heureux et en bonne santé, qui nous donnent envie de les prendre par la main, histoire de s’assurer que dans leur enthousiasme délirant, ils ne s’égarent pas trop en chemin. Après tout, ils ont besoin de nous pour les accompagner, pour leur indiquer LA voie – c’est-à-dire la nôtre, celle-là même que nous avions interdit à nos aînés de tracer pour nous.
D’une part comme de l’autre, il semblerait que nos rejetons ne puissent exister en dehors du regard et des fantasmes de leurs aînés.
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Quand les petits en question ont entre dix-huit et trente ans, notre acharnement à les enfermer dans nos perceptions réductrices, misérabilistes ou «y-sont-tu-cute-istes» commence à prendre des allures de paternalisme exaspérant.
Certes, il est normal que nous nous souciions de la qualité de l’éducation, de l’environnement et des emplois. Tout comme il est souhaitable que les aînés s’engagent en faveur d’une société plus équitable.
Toutefois, se préoccuper des jeunes ne signifie pas se substituer à ces derniers pour trouver des réponses aux défis qui leur sont posés. L’avenir des jeunes, c’est d’abord l’affaire des jeunes eux-mêmes!
Si la question des jeunes nous tient tant à cour, réservons nos énergies au traitement du problème à la source: identifions les obstacles à la pleine participation des jeunes à la vie de la cité, travaillons à lever ces obstacles, et ayons l’humilité de nous mettre en veilleuse quand notre omniprésence constitue un élément du problème.
Quand nous ne sommes ni les parents ni des adultes réellement «significatifs» (et surtout désintéressés) dans la vie des jeunes, comportons-nous donc avec eux en concitoyens, surtout pas en éclaireurs. et encore moins en modèles!
Nous avons eu la possibilité de développer un modèle de vie en société à notre image. Nous avons même eu la liberté de refuser l’enfermement dans un modèle unique et uniforme. Laissons-les donc construire les modèles qui leur ressemblent, et appliquons-nous plutôt à définir notre propre responsabilité dans le rétablissement de l’équilibre entre les générations.
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Assurer la participation des jeunes au débat public, ce n’est ni parler jeune, ni parler des jeunes, ni parler au nom des jeunes, ni condescendre à donner la parole aux jeunes… mais créer des espaces où les jeunes puissent prendre la parole.
Il nous appartient de nous assurer que les conditions soient réunies pour que les jeunes puissent occuper les espaces de délibération d’égal à égal avec leurs aînés. Il nous appartient de nous assurer que le droit de cité existe pour tous les membres de la collectivité, et que ce droit soit respecté. Mais évitons de transformer le droit à la participation en obligation d’engagement.
Si certains de nos jeunes nous disent qu’ils s’en balancent des grands débats, qu’ils n’y croient pas et que leur principal souci est d’essayer de donner un sens à leur existence, sans bruit, sans banderole ni trompette, loin de tous ces moins jeunes qui leur veulent du bien, alors, laissons-les tranquilles!
Et surtout, cessons de faire semblant que la crise de la participation civique, l’absence de débat ou la complaisance ambiante sont le fait de la passivité de nos jeunes ou de l’individualisme de leurs parents.
Le fait est que la prise de parole et la délibération critique sont en passe de devenir le caviar des indépendants de fortune!