Les jurés qui seront choisis pour le procès de Maurice «Mom» Boucher seront séquestrés.
Le mot est lourd de sens. La séquestration est d’ordinaire un acte hautement répréhensible, qui peut déboucher sur un chef d’accusation d’une extrême gravité. On comprend mal qu’une telle mesure puisse contribuer à la sérénité de la justice. Elle dramatise à l’excès la situation.
La séquestration des jurés, que le juge déplore, n’est prononcée que rarement, mais une forte majorité de jurés potentiels la souhaite pour des affaires ayant trait au crime organisé. Les avocats de la défense seraient donc légitimés de prétendre que cette seule mesure anticipe de la culpabilité du prévenu: elle établit qu’il appartient bien au crime organisé, dès avant le début de son procès. Et n’est-il pas curieux de constater, d’autre part, que la justice en est réduite à séquestrer ses agents, les jurés, plutôt que le crime organisé lui-même? C’est que les citoyens ont des droits, garantis par la Constitution, par la Charte. Ceux des jurés séquestrés paraissent ici pour le moins entravés.
Il semble pourtant que cette séquestration soit de nature à protéger lesdits jurés, à les soustraire à la pression de l’opinion relayée par les médias, à les mettre à l’abri de tentatives d’intimidation ou de corruption de la part dudit crime organisé. On peut en douter.
Que ne peuvent-ils pas s’imaginer, ces jurés, à propos de leurs familles, de leurs proches, lorsqu’ils sont séquestrés? Que ne peuvent-ils pas appréhender des suites de leur décision, une fois le procès terminé? On pense aussi aux juges, aux enquêteurs, aux témoins, aux jounalistes. Pourquoi seraient-ils à l’abri de toute pression? Et dans d’autres types d’affaires, escroqueries de haut vol ou querelles de famille, n’y a-t-il aucune pression? Combien de personnes faudrait-il séquestrer, à la fin?
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Quoi qu’il en soit, la justice fait ici aveu d’impuissance. Elle est conduite à se comporter selon les conditions dictées par un crime organisé assez puissant pour l’empêcher d’appliquer normalement la loi. C’est la société tout entière qui est prise en otage, soumise à cette puissance, à travers la séquestration des jurés.
Mais il y a plus.
La séquestration, l’isolement d’un individu est la première étape de ce qu’on appelle un lavage de cerveau: réduit à n’avoir de contact avec l’extérieur, avec la réalité, que par l’entremise de son geôlier, l’individu séquestré se raccroche à cette seule présence; il finit par croire ce que dit son geôlier; il quête son approbation; à la fin, perverti, il peut en arriver à l’aimer.
On n’en est pas là, c’est sûr, mais personne, malade, prisonnier, trappiste ou juré, ne subit sans conséquences un isolement de plusieurs semaines. Même adoucie d’égards, la séquestration ne peut en aucune façon aider des jurés à mieux juger d’une cause. En les coupant de leurs repères habituels, elle leur ôte une part substantielle de ce qui fait d’eux des individus raisonnables: leur autonomie, qui garantit leur libre arbitre.
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Comme à tout vrai problème de société, il n’y a pas à celui-là de solution définitive, et il faut rejeter d’emblée celles qui s’appuieraient sur l’héroïsme ou sur la vertu – que personne ne peut se targuer de posséder plus que les autres.
Si au moins la procédure n’exigeait que la majorité simple des jurés, plutôt que leur unanimité, on aurait une petite assurance: intimider ou corrompre la moitié d’un jury serait moins aisé que de faire ployer un seul individu, dans un sens ou dans l’autre; et les jurés ne pourraient pas être identifiés personnellement au verdict.