Grandes gueules

L’«intelligence» du vote québécois

Y a-t-il quelqu’un qui comprend Lucien Bouchard? Il prend le pouvoir les doigts dans le nez, mais il a les mains liées. Vous entendez quelque chose aux motivations de Charest? Il gagne le référendum à chaque fois qu’il ouvre la bouche, mais il sait pertinemment qu’avec une stratégie comme la sienne, il ne gagnera jamais une élection.

Et Dumont, en v’là un qui se contente facilement! Il concède l’élection à une semaine d’avis, trop content d’avoir son jouet avant Noël.

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«Le vote québécois est intelligent», répètent sans cesse les analystes. C’est quoi, ça, un vote intelligent? Une concertation générale dans les bureaux de votation? Un inconscient politique qui se met à l’ouvre le matin des élections?

Allons donc! Le vote québécois, c’est la consécration du prévisible. Le nec plus ultra du «pépère time». Et voilà, t’y pas qu’on ergote sur 2 ou 3 % de différence entre péquistes et libéraux, qu’on s’acharne sur les sondeurs.
C’est un autre problème, ça, les sondeurs. Des putes. A cheval sur la science et la prudence quand ils se fourrent le doigt dans l’oil; mais à bride abattue sur les gros titres quand c’est le temps de vendre leur voyance. Le vote québécois, y est pas intelligent, y est carrément déterminé par la stratégie politique.

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Prenons le PQ.

C’est quoi le PQ? 65 % au Lac-Saint-Jean; 55 % chez les autres francos; une demie de 1 % chez les anglos-allos. Assez pour gagner le parlement, trop peu pour faire l’indépendance. Et pourquoi? Parce qu’on ne fera jamais bouffer à la même table Guy Bouthiller, Sir Manfred Something de Westmount, et Abdallah, de Parc-Extension.

Parce que le PQ, c’est franco-catho, tu vis, tu meurs avec. Un peu plus ethnique, ils perdent le Lac-Saint-Jean. Un peu moins, ils se plantent à Rosemère. Plafonnés en bas de 50 %, gros max.
Prenons les libéraux.

C’est quoi, le Parti libéral? 90 % dans le West-End et les comtés à majorité allo; 25 % au Lac-Saint-Jean; 45 % chez les francos modérés, les «chèvre et chou». Assez pour faire bonne figure et pour empêcher l’indépendance, mais trop peu pour prendre le pouvoir à Québec.

Et pourquoi? Parce que pour se payer 90 % du vote anglo-allo, les libéraux doivent mettre Pierre Falardeau, Gilles Vigneault et Paul Piché dans l’armoire à balais. Et exacerber la haine raciste des ultra-cathos-francos, ce qui incommode une part des «chèvre et chou», qui n’aiment pas la chicane et qui, forcés de choisir, opteront toujours sirop d’érable.

Quand les libéraux veulent prendre la défense du Québec traditionnel, ils se mettent à dos l’arrière-garde facho-orangiste et contribuent à la mise au monde du Parti Égalité – l’ADQ version plum-pudding. Ils glissent à 35 % du vote. Ils incommodent Ti-Jean-Poivre-Aux-Yeux et sa gang d’épiciers. Ils ne sont plus le Liberal Party, et ça, c’est grave.

Quand les libéraux prennent le virage Charest des durs de la Confédération, ils ouvrent la voie au référendum gagnant.
L’ADQ, maintenant.

C’est quoi, l’ADQ? Rien. C’est une gouttière, un bac à récupération. L’ADQ ramasse ce qui se perd dans la décantation du vote franco. Ça s’en va nulle part, l’ADQ; ça avance et ça recule selon le mouvement des deux autres.

L’ADQ, c’est un conseiller matrimonial qui veut avoir l’air «smatte», passer GO et récolter ses honoraires. Un prof de tango. L’ADQ, c’est rien; ça ne sera jamais quelque chose, parce que ça fait le jeu des deux autres en se prétendant l’arbitre de notre avenir.

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Intelligent, le vote québécois?
Disons plutôt qu’il fait vaguement notre affaire. Qu’on s’accommode du fait que rien ne change, que cet équilibre instable est une commémoration du Panthéon des Ploucs sans imagination, et que tout est déterminé à la base, à la très fondamentale base du pourcentage de vote acquis.

Pas un iota de créativité chez les politopitres, craintifs de perdre l’appui qui sert de rampe de lancement à leur vision. Hey, on a un enfant sur cinq qui ne mange pas à sa faim à Montréal! Pas à Jakarta ou à Tombouctou – ici, chez nous!

Et tout ce qu’on a à offrir, c’est un faux rapport de forces, une farce électorale, une dette à l’intelligence.

Intelligent, le vote québécois, que vous dites? Allons donc…