Richard Doucet
Traducteur
Il y a quelques semaines, votre journaliste Éric Grenier signait un texte sur les dangers liés à la pratique du journalisme judiciaire. Il n’y a pas que les journalistes judiciaires qui courent des risques en disant ce qu’ils savent. Les journalistes qui couvrent l’actualité politique sont loin de pouvoir dire ce qu’ils pensent.
En effet, il est aisé de constater qu’il existe bel et bien un contrôle de l’information au Québec. C’est une véritable chape de plomb, qui empêche les journalistes de s’exprimer librement lorsqu’il s’agit d’aborder la question nationale.
Lors du référendum de 1995 sur la souveraineté, tout près de 50 % des Québécois ont voté Oui. Lors de la dernière élection québécoise, près de 45 % des électeurs ont voté pour le Parti québécois. Et quelque 12 % ont voté pour l’ADQ, un parti qui a choisi le camp du Oui au dernier référendum. Lors des deux dernières élections fédérales, le Bloc québécois, un parti souverainiste, a fait élire une majorité de députés.
Manifestement, la souveraineté est une option politique viable, une idée porteuse, partagée par une part considérable de la population du Québec.
Malgré cela, aucun journal québécois n’a une position éditoriale franchement souverainiste. Le Devoir n’a appuyé que ponctuellement les thèses souverainistes au cours des vingt-cinq dernières années. Lise Bissonnette a affiché ouvertement, avec courage, ses convictions à ce sujet il y a à peine quelques années. Je mets au défi quiconque de me nommer un seul journaliste québécois notoirement souverainiste; un journaliste qui pratique encore son métier, il va sans dire.
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Depuis que des fédéralistes inconditionnels ont mis la main sur la presque totalité des entreprises de presse au Québec, la question nationale est devenue dans les salles de rédaction un sujet tabou, un objet de dérision; et l’idée de souveraineté, une espèce de maladie honteuse.
Cela donne des articles et des éditoriaux emberlificotés, trop souvent écrits par des gens qui n’en finissent plus de se défendre d’être ce qu’on pourrait penser qu’ils sont – c’est-à-dire des souverainistes, comme à peu près la moitié des Québécois. Cela fait qu’on va même jusqu’à s’ingénier, chez les journalistes, à tenter de faire l’équation entre intégrité intellectuelle et absence de position sur une question aussi cruciale que l’avenir constitutionnel du Québec.
Cela en pousse plusieurs à se réfugier dans les limbes d’une soi-disant neutralité ne privilégiant ni le souverainisme ni le fédéralisme. La direction des médias québécois ne se cache pas pour montrer ses couleurs fédéralistes. Pourquoi n’existe-t-il au Québec aucun journal, aucun média souverainiste?
Question d’équilibre.
Question de simplement faire un peu de place, de donner une voix à une partie importante de la réalité dans l’éventail des opinions politiques.
Question aussi de dire aux Québécois et aux Canadiens qu’effectivement, on peut penser et écrire des choses intelligentes malgré le fait qu’on soit souverainiste.
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Le milieu journalistique québécois a fini par se retrancher à cet égard dans une étroite position corporatiste. Les Québécois semblent condamnés à lire et à entendre partout les mêmes platitudes, tant la domination fédéraliste sur l’information au Québec est totale.
Verra-t-on bientôt la fin de ce régime cryptosoviétique de pensée unique?