Depuis des années, je ne vais plus à l’Opéra de Montréal. Comme plusieurs de mes collègues, j’ai été «barrée», c’est-à-dire bannie pour mon manque de collaboration. On ne m’offre plus de billets, je ne suis plus invitée aux conférences de presse et, pendant longtemps, je ne recevais même plus les communiqués annonçant les événements à venir.
Non pas que je m’en plaigne. Il ne manque pas d’événements à couvrir dans le Montréal musical… Mais que notre seule maison d’opéra montréalaise d’envergure se montre aussi fermée face à la critique est inquiétant.
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Dernièrement, le problème refaisait surface à la revue La Scena Musicale et au Globe and Mail. Il donnait lieu à une série de lettres révélatrices quant à l’état des relations de l’OdM avec certains médias.
Philip Anson, critique au Globe and Mail et à la revue La Scena Musicale, fait partie, à l’instar d’Arthur Kaptainis (The Gazette), de François Tousignant (Le Devoir), de Georges Nicholson (Radio-Canada), d’Alan Horgan (ex-Hour, ex-Globe and Mail), de Robert Lévesque (ex-Le Devoir, Radio-Canada), de Gaétan Charlebois (ex-Mirror) et de moi-même, du groupe de journalistes touchés par l’attitude très particulière de l’Opéra de Montréal; une attitude qui prévaut depuis des années, c’est-à-dire depuis l’arrivée de Bernard Uzan à la tête de l’institution.
A la fois directeur général et directeur artistique, Uzan règne sur cette maison de production, en partie subventionnée par les différents paliers de gouvernement. Selon Philip Anson, l’OdM et son Atelier lyrique auraient reçu, pour la saison 1996-97, des subventions de 1 200 000 $ du Conseil des arts et des lettres du Québec, et de 694 000 $ du Conseil des Arts du Canada, en plus d’un montant provenant du Conseil des arts de la CUM. Sur un budget annuel de 8 000 000 $, c’est peu.
Mais les contribuables québécois qui paient ces montants (et qui achètent des billets) devraient avoir accès à différents points de vue sur ces productions montées en partie grâce à leur argent. Or, il n’en est rien, puisque l’on refuse d’inviter, les soirs d’opéra, plusieurs audacieux journalistes qui ont osé faire fonctionner leur esprit critique devant l’enchantement – en principe absolu – de l’art lyrique.
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Certes, le problème de la critique ne date pas d’hier, et certaines mesures sont parfois nécessaires pour refréner les pulsions meurtrières de critiques frustrés. Les billets de presse étant donnés gracieusement, on peut s’attendre à ce que, ponctuellement, les institutions refusent d’offrir des places à leurs ennemis jurés. Mais l’Opéra de Montréal éloigne systématiquement tous les journalistes qui ne démontrent pas suffisamment d’enthousiasme face à ses productions.
L’OdM m’a accusée de ne pas aimer l’opéra. Mon plus grand péché: ne pas avoir été entièrement positive lorsqu’une production m’avait plu. De ce fait, j’éloignais, semble-t-il, le public jeune de l’OdM, en lui faisant sentir que cet art ne pouvait pas le satisfaire.
D’après les lettres de John Trivisonno, du Département des communications de l’OdM, l’Opéra de Montréal voit l’offre de billets comme une collaboration avec les journalistes qui, en retour, se doivent de respecter certaines règles. Effectivement, il y a une éthique de la critique. Toutefois, la critique N’EST PAS UN SERVICE AUX INSTITUTIONS, ELLE EST UN SERVICE AUX CONSOMMATEURS DE SPECTACLES.
Voilà la véritable question: comment l’Opéra de Montréal voit-il le travail du critique musical? Comme une publicité déguisée? Ou comme une source d’information honnête, passée à travers le filtre de la perception d’un individu?
Si l’Opéra de Montréal veut se faire respecter, il faudra qu’il ait une attitude respectable. Aussi, lorsqu’on prétend que les critiques ont tort d’avoir des réserves, puisque le public, lui, s’est montré enthousiaste, il use d’un argument fallacieux. Le rôle du critique n’est-il pas de donner un avis éclairé, dont l’amateur tiendra compte s’il le veut bien?
A ce que je sache, le libre arbitre, ça existe toujours…