Grandes gueules

Deux fois orphelins

Jean-Pierre Bouchard
Bénévole auprès de personnes handicapées physiques

La réponse fournie par le gouvernement du Québec aux orphelins de Duplessis échappe à toute logique et à toute morale. Elle constitue une entreprise de dissimulation des faits derrière un fallacieux principe voulant que les torts qu’ils ont subis ne sauraient être réparés sous prétexte qu’on ne peut refaire l’histoire! Si l’on acceptait ce principe, personne ne pourrait désormais faire appel aux tribunaux en vue d’obtenir réparation d’actes «passés» ayant causé un quelconque préjudice.

En offrant ses «excuses officielles» et un risible fonds d’aide de trois millions de dollars à ceux que l’on connaissait jusqu’à maintenant sous le nom d’enfants de Duplessis, notre premier ministre et le Québec tout entier ont choisi un expédient grossier qui fait injure au sens commun autant qu’aux principes élémentaires sur lesquels s’appuie, pensions-nous, notre système de justice. Un raccourci qui fait penser que dans l’élaboration des conditions gagnantes du futur pays, les Québécois ne seront pas tous gagnants.

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«Pas question de récrire l’histoire.» Telle est donc la pierre d’assise sur laquelle M. Bouchard a choisi de faire reposer la solution que le Québec offre aux orphelins de Duplessis.

_ On vous a volé? Pas question de récrire l’histoire!

_ Vous avez été violée? Pas question de récrire l’histoire!

_ On a sali injustement votre réputation? Pas question de récrire l’histoire!

_ Vos droits ont été brimés, lésés, bafoués? Pas question de récrire l’histoire!

En réagissant ainsi, il fait d’eux des orphelins de la justice.

«Pas question de récrire l’histoire», certes. Mais, au-delà des mots, il y a les faits. Des faits connus et admis d’un grand nombre, même si on souhaiterait qu’ils demeurent cachés dans cette époque de la «grande noirceur». Des faits démontrant que des enfants, aujourd’hui adultes, ont subi des sévices inacceptables et injustifiables selon toute morale digne de ce nom. Récemment, à l’invitation de Mgr Turcotte qui leur demandait des preuves, des témoignages chargés d’émotion ont été livrés aux médias. Des témoignages que personne n’a pu contredire, et qui ont donné à certaines bonnes âmes, comme Pierre Gravel, le désir de pouvoir «en finir» avec ce qu’il considère être «un combat qui ne mène nulle part». Mais il y a sans doute des dizaines d’hommes et de femmes qui en porteront toujours des séquelles indélébiles.

C’est donc pour en finir avec cette page de notre histoire (certains voudraient n’y voir que des histoires) que M. Bouchard, premier ténor du modèle québécois de la solidarité et de la compassion, souhaite liquider la question, en tentant d’acheter le silence de ces orphelins qui ne mériteraient pas, à ses yeux, que l’on mette en marche le coûteux processus de la justice. Le Québec, par la voix de son premier ministre, a donc préféré tourner le dos aux faits et à ses enfants, et faire comme si rien de grave ne s’était passé, sous prétexte que le temps «rend difficile tout recours judiciaire».

Il ne manque pourtant pas d’exemples récents de parents âgés ou de grands-parents qui ont dû faire face à des accusations devant les tribunaux suite à des dénonciations souvent tardives. Ils ont été jugés et parfois condamnés. Comment expliquer alors que ce qui a pu être fait dans ces cas ne pourrait l’être dans le cas des orphelins? Pourquoi leur refuser les ressources qui ont permis à d’autres de faire en sorte que le cours de la justice s’exerce contre ceux qui ont abusé d’eux?

De quoi a-t-on peur en refusant l’enquête réclamée? Les habits et les fonctions de ceux dont les orphelins de Duplessis auraient à se plaindre devraient-ils empêcher que les mêmes mécanismes s’appliquent pour eux comme pour tout autre citoyen?

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La seule explication pouvant rendre compte de la décision du gouvernement de M. Bouchard dans cette triste cause est évidente: la recherche des conditions gagnantes en vue du prochain référendum.

Sachant qu’en ouvrant les portes du passé, on risquerait de ternir l’image d’institutions que nombre de Québécois aiment encore considérer comme crédibles, le gouvernement du Parti québécois a préféré ne pas prendre le risque de se les mettre à dos.

Retenons bien la leçon du premier ministre. Mieux! À la veille du prochain référendum gagnant, copions cent fois la phrase: «Pas question de récrire l’histoire» en pensant aux plaines d’Abraham.

Disons: «Non», sans nous excuser. Non à un pays qui refuse d’assumer son passé.