Grandes gueules

La belle image

L’image fera sûrement la une des moments magiques de l’année dans Life, Photo ou Paris Match. L’avez-vous vue? Pendant un reportage sur les frappes aériennes de l’OTAN et sur l’exode des réfugiés, on voyait un car rempli de Kosovars. Et sur le car, il y avait… une pub de Nestlé Quick!

Les publicitaires nous refont-ils le coup de la guerre du Golfe? S’agit-il d’un conflit virtuel? Milosevic est-il un Super Mario plaqué sur la réalité? La vérité est-elle ailleurs? Sommes-nous paranoïaques?

Les «bombardements humanitaires» servent-ils vraiment à empêcher la marche inexorable d’un tyran, ou préparent-ils le terrain aux investissements majeurs qui viendront après?

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La force de frappe de l’OTAN est proportionnelle au pouvoir des leaders économiques mondiaux. Et les tyrans, tels qu’on nous les présente, ont tous le même profil: psychopathes, démoniaques, inhumains. Ils sont les perce-neige de nos démocraties. Enfouis sous la terre meuble pendant l’hiver de notre indifférence, ils viennent réveiller le paysage, comme des tulipes écarlates, dans le printemps de nos scrupules idéologiques.

L’indignation face à l’épuration ethnique au Kosovo a deux visages. La première est sentimentale. C’est celle que nous ressentons dans notre salon en voyant les images de l’exode. La seconde est stratégique, et appartient aux grands de ce monde et à leurs parties d’échecs.

Grâce au génie des publicistes, on réussit à réconcilier l’une et l’autre, dans une illusion parfaite qui dit: Nous sommes les «Bons» qui avons pour mission de terrasser le méchant dragon. Les images servent de support à l’exercice. Mais, parfois, une image échappée révèle autre chose, comme une pub de Nestlé Quick sur un car de Kosovars. Placement de produit?

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L’art de la guerre consiste à faire passer l’atrocité pour noble et justifiée. Il y a au moins quinze bonnes raisons pour remettre en cause non pas la pertinence de lutter contre un dictateur, mais l’intervention de l’OTAN telle qu’elle a été conçue. Il y en a plus; mais, juste en Afrique, il y en a quinze: Sénégal, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Nigeria, Angola, Soudan, Comores, Lesotho, Congo, République Démocratique du Congo, Érythrée-Éthiopie, Somalie, Ouganda, Rwanda, Burundi. Des territoires décimés par les guerres civiles, les dictatures, l’épuration ethnique, mais surtout par la misère. Des territoires oubliés, ou presque.

Les Kosovars sont caucasiens. Impact média immédiat! Territoire mythique de l’Empire ottoman «métisseur» de la culture romaine et arabe, carrefour de religions, table de poker de l’équilibre mondial. Raison pour laquelle on nous bombarde _ humanitairement parlant _ d’images choisies qui nous font pleurer sur le sort de nos frères aujourd’hui musulmans. En d’autres temps, quand les loups entraient dans Paris, les Serbes étaient les bons, la famiglia; et les Croates, les méchants. Objectif média du message: l’OTAN n’a d’intérêt que pour le Bien, pour la répression du Mal, et non pour la promotion de ses propres intérêts financiers.

Faux.

La publicité nous prend pour des cons. La grande, la grosse publicité qu’est la propagande de guerre, elle, nous prend pour des méga-cons. Oui, les méchants existent; c’est un fait de l’existence. Par contre, on ne nous dit jamais que les bons, tout bons soient-ils, peuvent être de sacrés opportunistes. Ils peuvent choisir le territoire de leur bonté. S’insurger contre Milosevic quand ça fait leur(s) affaire(s) , puis expliquer à Pinochet comment on va contrôler l’opinion publique américaine pour faire avaler l’assassinat d’Allende.

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Chez nous, à part celle des motards, on n’a pas la guerre. Alors, je vous propose un exercice pacifique.

Prenez le numéro d’avril de la revue Commerce. Regardez la une. On dit que Brian Mulroney est indispensable. Lui, indispensable, vraiment? Indispensable à qui?
Ouvrez le magazine consacré au Top 50 du pouvoir québécois. Vous y apprendrez, dixit Léger & Léger, que vous vouez une admiration sans bornes au Groupe Jean Coutu. Ah oui?

Voilà ce qu’est la propagande, chez les pauvres, chez les riches, chez les bons, chez les méchants, chez les démocrates et les tyrans: une raison rapetissée, l’usurpation d’une cause et d’un effet.

Se servir de l’atroce pour asseoir son autopromotion dans les pays en guerre. Prétendre qu’on vous connaît mieux que vous ne vous connaissez vous-même là où il y a la paix.

Mais partout, partout, y a Nestlé Quick quand j’ai bobo.