Grandes gueules

À coups de règle

Comme la plupart des gens, j’essaie de parler et d’écrire le français de la manière la plus convenable possible, pour être compris du plus grand nombre en essayant d’avoir quelque chose à dire s’il y a moyen.

J’aime la langue française en général et celle du Québec en particulier. J’aime raconter, chanter, lire, rire, rêver dans cette langue-là et, en même temps, je vous avoue bien franchement que si j’étais chilien, j’aimerais probablement l’espagnol tout autant; si j’étais allemand, ce serait peut-être l’anglais; si j’étais américain, je ne me poserais même pas ces questions-là et si j’étais français de France, j’aimerais le poitevin, l’occitan ou le breton encore plus que le français.

En passant, saviez-vous que le Québec est à peu près le seul État de la francophonie où le français n’a pas été imposé à la majorité des gens? C’est vrai: pendant des années, des dizaines de pays (la France entière y comprise, si on excepte quelques villes et la grande région parisienne) n’ont eu de francophones que leurs élites, les diverses populations de ces pays s’exprimant plutôt dans des langues nationales autres que le français. De l’histoire ancienne? Bien sûr. Les temps changent et le français s’est répandu par toutes sortes de moyens, notamment politiques. Il n’empêche que maintenant, cette langue régresse; et toute la problématique de sa promotion nécessaire prend racine dans cette réalité toute simple: historiquement, le français n’a jamais vraiment été une langue populaire.

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En effet, l’histoire du français comme langue du peuple reste encore à inventer. La langue française, «cette langue belle», est encore perçue aujourd’hui dans le monde entier comme une langue de salon qu’on articule à petites bouchées en tenant une coupe de vin cher entre le pouce et l’index. Les secteurs de la population qui pourraient contribuer à faire du français une langue populaire «parlent mal» et parleront toujours mal parce que le français est une langue qui aime la hiérarchie.

Pensez donc: déjà rares dans le monde sont les langues dominées par des académies qui les régissent (l’anglais, par exemple, n’en a pas); nous parlons peut-être la seule dont la presque totalité des usagers sont constamment culpabilisés par un sénat de grenouilles de dictionnaire. En 1999, c’est encore une secte de vieux schnocks nostalgiques de la cour de Louis XIV qui décident des mots que tous les Guy Bertrand de la terre nous donnent la permission d’utiliser après le premier café du matin.

Attention. Je ne fais pas ici la promotion du joual. Je dis seulement qu’en ce qui concerne la dynamique linguistique, la langue française a les deux pieds dans le marbre.

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L’expansion de l’anglais dans le monde n’est plus seulement un phénomène politique mais aussi un phénomène linguistique. L’anglais s’est énormément affranchi et simplifié depuis deux siècles. Il a digéré toutes sortes d’influences, évolué dans les rues, les bars, les shops. L’anglais utilisé à l’échelle de la planète n’est plus la langue ancestrale des Britanniques. Le français, toutefois, celui qu’on voudrait nous voir parler et écrire parfaitement, est encore un dialecte pour vieux érudits.

Un bel exemple? La Dictée des Amériques. Une dictée «populaire», dit-on. Un exercice d’écriture où les mots péremptoire, palinodie, herméneutique et catachrèse ne sont qu’une entrée pour le plat suprême de résistance: la construction de phrases littéraires à la sauce 19e siècle!

Au fond, la dictée a au moins le mérite de nous montrer annuellement jusqu’à quel point la langue française peut se désincarner, se désintégrer pour devenir une caricature, un jargon néo-aristocratique sans règle et sans loi, pourri d’exceptions, de consonnes muettes et de pièges à petit peuple. Une langue pour se lire soi-même et s’écouter parler.

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Mais quand même, malgré tout, je vous le jure, j’aime la langue française en général et celle du Québec en particulier: sa musique, ses nuances, ses drôleries, sa truculence. Mais faudra peut-être que quelqu’un se décide là-haut, entre deux Dom Pérignon, à libérer cette langue, à la déconstiper de ses siècles de suffisance hautaine qui font que certains pédants insupportables et méprisants passent pour des sauveurs.

Pourquoi ne pas envisager les bases d’une réforme de certains principes parmi les plus désuets de la grammaire et de l’orthographe? Se pourrait-il que de présumées «fautes» de langage et d’écriture soient au fond tout à fait compréhensibles et logiques au point d’amener des idées constructives pour démocratiser la langue française?

Je ne sais pas si la popularité du français y gagnerait mais, au moins, ça nous changerait de la promotion du caviar.

Mon père et ma mère m’ont transmis l’amour d’une langue vivante, proche du monde en mouvement.

Au moment où je vous parle existent, au nord de La Tuque, près de 4 500 Attikameks répartis dans les communautés d’Opitciwan, Manawan et Wemotaci; des gens qui façonnent quotidiennement, naturellement, une langue qu’ils parlent tous et sont les seuls au monde à utiliser. Pourquoi la nôtre serait-elle encore régie par des monarques dans leur tour d’ivoire?