Grandes gueules

Montréal déteste-t-elle les enfants?

Sophie Beaudoin

Coordonnatrice de rédaction au magazine Info Presse

Les familles vont vivre en banlieue et désertent Montréal. C’est à cause des taxes, dites-vous. Ah oui?

Parlons plutôt de qualité de vie pour une famille. Les gens préfèrent la banlieue parce que leurs enfants sont acceptés partout où les parents vont. À Montréal, on dirait qu’ils sont des maux nécessaires, voire des nuisances publiques.

En banlieue, il serait inacceptable qu’un restaurateur traite mal ses clients qui amènent des enfants à son restaurant, n’est-ce pas? Pourquoi serait-ce différent à Montréal? C’est à croire que la majorité des parents ne paient pas la facture à la fin du repas, ou que les enfants mettent le restaurant sens dessus dessous, ce qui expliquerait ce dédain des familles!

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L’intolérance est à peine voilée.

L’autre jour, nous étions deux femmes accompagnées de deux enfants en bas âge, qui voulions nous restaurer. Il a fallu quinze minutes d’attente pour qu’un serveur daigne venir s’enquérir de nous, et presque autant pour passer notre commande.

Une demi-heure avec deux enfants affamés dans un restaurant qui ne comptait pas plus de quatre tables occupées. Hmmm, paranoïaques?

Autre exemple: un samedi matin, sur l’avenue du Mont-Royal (pour ne pas la nommer), nous nous sommes arrêtés, mon conjoint et moi, à un restaurant populaire pour casser la croûte avec notre fils de deux ans. Il a fallu attirer l’attention du serveur plusieurs fois pour avoir un menu. Après dix minutes, on n’avait toujours pas passé notre commande! Exaspérés par tant de mauvaise volonté, nous nous sommes levés. Une serveuse s’est immédiatement «garrochée» vers notre table pour l’essuyer avec un linge humide, histoire d’installer deux couples (sans enfant) qui attendaient.

Est-ce que nous exagérons? Non. Les restaurateurs vous le diront: les enfants, c’est sale, ça dérange les clients, et c’est mauvais pour le commerce. Notre argent, apparemment, ne vaut pas le dérangement que nous causons. Une subvention avec ça?

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Nous refusons d’être forcés de manger dans des restaurants «ghettos-famille», comme Saint-Hubert ou McDonald, pour les quinze prochaines années sous prétexte que nous dérangeons l’ordre établi. Coudonc, êtes-vous si à l’aise dans vos pantoufles pour qu’un enfant de deux ans vous exaspère à ce point?

Personnellement, j’ai opté pour le bottin noir et le bouche à oreille. Entre amis, on se refile le nom des restaurants qui acceptent les enfants, et ceux qui font tout pour nous faire déguerpir. On a le militantisme qu’on peut. Combien de parents sommes-nous à Montréal? Ils vont peut-être finir par comprendre!

Si ce n’était que la question du restaurant, nous fermerions notre gueule et nous laisserions faire, comme dit la chanson. Mais Montréal se vide. Elle se vide parce que les familles ne se voient pas vivre en ville. Pourquoi dépenser des sommes astronomiques en publicité pour les attirer si c’est pour les repousser de l’autre main?

Montréal est à un doigt d’être une ville agréable pour une famille.

Il y manque la politesse. Et un ou deux espaces verts supplémentaires, sans oublier des parcs d’amusement décents. La plupart des installations de jeux sont tellement désuètes et défraîchies qu’elles ne sont ni rassurantes ni attrayantes pour un couple avec enfants.

Récemment, le constructeur automobile Saturn est passé par notre terrain de jeux et l’a doté d’installations adéquates et intéressantes en échange d’une plaque commémorative. Nous devons faire partie de leur clientèle cible! On rouspète beaucoup contre la publicité envahissante, mais, dans ce cas-ci, force est d’admettre que cette forme de publicité sociale est plus que bienvenue. Le malheur, c’est que les quartiers plus défavorisés n’y ont pas droit.

Heureusement, il y a des îlots qui me rassurent sur la viabilité de Montréal: la plage de l’île Sainte-Hélène, le parc La Fontaine, le parc Jeanne-Mance, le Mont-Royal, et bien d’autres encore.

Si notre maire-jardinier lâchait la privatisation des services municipaux et se concentrait vraiment sur sa population, les choses devraient changer…

P.-S.: Si vous voulez connaître ma liste de restaurants, vous n’avez qu’à m’envoyer un courrier électronique, à [email protected].