Petit samedi caniculaire dans une ville très secondaire d’Amérique du Nord. Derniers soubresauts d’un sumo matriarcal entre les infirmières et la ministre de la Santé. Un avion s’est abîmé en mer au large de Martha’s Vineyard. John Kennedy Jr., sa femme Carolyn Bessette et la sour de celle-ci sont portés disparus. Pour se consoler, on invoque unanimement la malédiction Kennedy.
Quelle malédiction? Avoir été aimé par un père mythique, élevé par une mère belle et digne, exquise représentante de la pureté américaine des années soixante – une vestale vêtue de Dior dans une décapotable ailée -, et cela, au sein d’un clan viril et protecteur. Être l’élégant descendant de la plus singulière union, l’enfant chéri d’une certaine Amérique, celle de la culture, des droits civils et de la liberté d’expression.
Comment parler de mauvais sort, sinon du point de vue de l’observateur immobile? Celui dont toute une vie ne suffirait pas à contenir les événements d’une seule semaine de la vie de John Junior à New York, en cet été 1999.
Vue sous cet angle, la malchance Kennedy n’est qu’une illusion d’optique créée pour mettre un baume sur la plaie de l’insignifiance de nos vies ordinaires. C’est plutôt la vie ordinaire qui est une malédiction. Le vrai malheur n’est-il pas d’être prisonnier de la canicule urbaine, d’être malade sans le sou et de voir reporter une opération longtemps attendue? Ce n’est pas de se préparer à assister à un mariage patricien sur une des plus belles plages privées d’Amérique.
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Le jeune Kennedy fascine. Il est une injustice marchant sur les deux longues jambes du sexiest man alive. Tel le joueur à qui l’on aurait donné la meilleure main en début de partie. Et en une seule donne. Beauté, richesse, renommée, intelligence, séduction, réussite, pouvoir: les plus impérieux espoirs de l’ego le plus ambitieux. Il ne reste à tous que l’envie à l’état chimiquement pur.
Comment pourrait-il en être autrement? Ce que John Jr. évoque, c’est l’actualisation de tout ce qui reste de grandiose enfantin dans n’importe quel adulte. La toute-puissance merveilleuse dont personne ne saurait se résoudre à faire complètement le deuil. Une vie où tout n’est qu’abondance et fulgurance et reconnaissance. Malgré l’effort consenti par les médias du monde entier pour nous en rapprocher désespérément, le rendre familier, John Jr. ne saurait être «a normal person, a regular guy», comme le serinent les reporters. Le commun des mortels aime aussi à penser que dans cet événement tragique, l’équilibre est rétabli, «qu’au moins il y a une justice sur terre». Évidemment, il est plus risqué de piloter son Saratoga Piper que de descendre d’un wagon de métro à la station Berri-UQAM…
Il faut cependant se faire à cette idée fort désagréable: en Amérique du Nord, malgré l’effort d’homogénéisation et de réduction des écarts sociaux, il existe presque autant de distance entre un Kennedy et un quidam, qu’entre un paria de Bombay et un représentant des castes supérieures.
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À la différence de tous les Falardeau de ce monde qui s’imaginent que la culture locale a de quoi définir notre identité, nous porter entièrement, et que nous sommes aliénés par le rêve américain, je me sens authentiquement québécoise quand je suis rivée à CNN, NBC, CBS, name it, absorbée par les reportages répétitifs sur la légende de Camelot, touchée par la perfection des traits de John John, les images-culte d’une Jackie éblouissante de raffinement. Et pourquoi pas, complètement fascinée par l’opulence sans clinquant du fameux Kennedy Compound à Hyannis Port, et par ce qui peut bien se dire à la table de la grande cuisine familiale par ce matin d’été balayé de vent marin.
Dream Big, estie, avec ta tête! Facile de rire grassement d’Elvis et de Disneyland, plus difficile en toute probité d’admettre l’ennuyante et définitive provincialité à laquelle nous renvoie brutalement la disparition de cette icône américaine.
Illusion pour illusion, ce destin tragique, sur fond de tout ce que la société américaine a de meilleur à offrir, me parle plus que le populisme concentrationnaire à la Falardeau.