Grandes gueules

Tintin chez les Inuits

Rédacteur en chef, Voir Québec

Depuis de Gaulle, les nationalistes québécois attendent en vain un autre cri du coeur de chaque visiteur de marque venu de la mère patrie. Jacques Chirac, durant son passage au Sommet de ces-pays-qui-ont-en-commun-quelque-chose-qui-ressemble-au-français, n’a pas marché non plus. Encouragé par tous ces diplomates en poste au Québec qui ne savent plus quel drapeau hisser lors des réceptions officielles, le monarque a vite éludé notre débat national en ridiculisant – avec une certaine justesse – les problèmes de terminologie vécus cette semaine-là dans la capitale (nationale or not nationale?).

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Après quelques commentaires convenus du genre: «La France vous a abandonnés, elle le regrette» lancés à ses nouveaux amis de «Monquetonne», Chirac a choisi la fuite au lieu de passer par Québec. Tel une parfaite caricature de ces touristes français que nous amène l’automne, il a préféré enfiler trois pulls de cachemire sous son anorak d’explorateur, chausser ses impeccables boots de trekking et filer au Nunavut, en compagnie de son ami du groupe des sept, afin d’enrichir sa collection particulière d’art primitif. Question de priorités.

«Ah! Claude, on est allés chez les Eskimaux durant le week-end, racontera-t-il au retour à sa fille. Ce sont des gens un tantinet arriérés, légèrement rugueux, quelque peu rustiques, la bouffe crue est passablement indigeste, le gros bus jaune n’avait aucune suspension, mais c’est tout de même plus marrant que ces Québécois qui nous bassinent depuis cinquante ans avec leurs débats ésotériques. On se les gelait, mais j’ai reçu des cadeaux pas croyables.»

Désormais, de dispendieuses sculptures en pierre à savon trôneront sur les foyers de marbre de l’Élysée à côté de quelques machettes rwandaises, autres beaux exemples d’art primitif s’il en est.

On ne peut pas reprocher à un homme qui a un jour porté un toast en ces termes: «À nos chevaux et à nos femmes que nous montons avec un égal bonheur» d’apprécier les scènes de chasse aux phoques virils.

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«La francophonie est une force tranquille.»

Ce bon mot a aussi valu à Chirac, dimanche, les applaudissements nourris d’un auditoire dont quelques membres seront probablement recherchés par Interpol l’an prochain. Tellement tranquille, sa francophonie, que rien d’autre que quelques allusions vaseuses aux droits de l’homme n’est venu troubler la placidité des vautours venus faire ripaille à la table de la francophonie. C’est le cas de Laurent Désiré Kabyla, mercenaire professionnel, ex-communiste jadis fréquenté par Che Guevara. Désormais établi à son propre compte, le sieur Kabyla tient tranquillement boutique au Congo. Il n’a pas à s’en faire tant qu’il partage. Les mines de diamant de l’ouest du pays rapportent gros et l’Europe prospecte toujours dans sa cour.

Comment, en effet, la France et la Belgique, pour ne nommer qu’elles, pourraient-elles accuser quelques grands criminels sans évoquer d’anciens complices avec lesquels elles ont pillé l’Afrique durant un siècle? Sans déterrer le cadavre aux os brisés de Patrice Lumumba? Sans s’accuser elles-mêmes des victimes du pétrole algérien? Et de tous les enfers des tropiques qui permettent de maintenir bien bas le prix du houblon dont on fait de la bonne bière et du bitume d’Haïti qui pave nos doubles entrées de garage? Il faudra se regarder soi-même avant de dénoncer la laideur des moeurs politiques du tiers-monde.

Comme tout bon party, ce sommet s’est terminé sur un grand concert télédiffusé. Les morceaux d’art lyrique pitoyables y côtoyaient les rigodons ringards. Question culture, Chirac, Chrétien et leurs collègues auraient été mieux avisés de regarder une autre chaîne.