Animateur des Salonneries, une émission de radio diffusée à CISM
«Les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n’a pas coupé la tête.»
– Cioran
Dans le texte qui accompagne le programme de Don Quichotte au TNM, un certain Wajdi Mouawad, qui a signé l’adaptation de la pièce, s’emporte dans une fureur lyrique qui me laisse stupéfait.
Le pamphlet, que j’appellerai ainsi pour être poli – non sans être tenté, je l’avoue, par le plus percutant vocable que serait torchon – s’élance dans la démesure, tant sur la forme que le fond, s’enlisant dans un exposé qui tourne à la crise d’hystérie. Monsieur Mouawad s’indigne contre la commandite des représentations et le profil de certains spectateurs, rêvant de «pisser et chier sur les cartons des commanditaires», et de «balancer allègrement pisse et merde au visage des pétasses argentées, des connards assurés et de gros tas cellularisés qui s’imaginent que le théâtre, dans un pays si monstrueusement en paix, doit être un lieu de divertissement».
Notons également la grossièreté politique du geste: ne faire aucun compromis avec le TNM qui, afin d’éviter une crise sur le musellement et la censure, le publie intégralement en le commentant et en tentant désespérément d’en nuancer la portée et de mettre en perspective l’enflure fielleuse qui n’en a point.
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Discuter, relancer le débat sur la question du mécénat, de la commandite et du lien que l’aristocratie entretient avec l’art aurait été intéressant.
Mettre en perspective, retrouver dans l’histoire des analogies à sa frustration l’aurait été aussi.
Se demander si la situation a changé depuis que Wagner a été obligé de faire quelques courbettes par l’intermédiaire d’un chapitre de Nietzsche pour que le Reich finance L’Anneau;
si Schopenhauer avait raison de s’indigner que l’on tolère à l’opéra la présence des dames, les représentations devenant selon lui des séances de caquetage insupportables;
si Eschyle participait à la démarche restreignant l’accès à la tragédie aux hommes…
Mais non, rien, rien, absolument rien ne peut être envisagé, abordé, débattu de quelque façon que ce soit quand on s’enrage et qu’on se perd, à la façon des plus enragés croisés de l’histoire. Pas de discussion, encore moins de subtilité possible avec cette petite métaphore du fascisme intellectuel pris de fièvres gauchisantes, quand le propos verse dans le messianisme inquisiteur et que le ton dégringole dans l’éristique scatologique.
Quelle étroitesse d’esprit, quel intégrisme primaire, mièvre et cloisonné.
Quelle fixation manichéenne à voir dans tout spectateur soupçonnable d’une certaine aisance financière un philistin.
Quelle persistance – à petite, si petite, si minuscule échelle – de l’agitation aveugle jetant l’anathème sur le mal, sur les méchants.
Quelle propension à se complaire dans le cliché et la facilité en sacrifiant une fois de plus le pauvre créateur esseulé sur l’autel sacro-saint de l’incompréhension vulgaire des masses.
Quant à cette évocation d’un pays «monstrueusement en paix», passons. Sous l’opacité maladroite de cette évocation confuse, ne peuvent se cacher que de la morale, de la religiosité historique – voire, qui sait, certains penchants pour l’épuration, la purification et le triomphe de la raison créatrice qui a éliminé sur son passage la médiocrité des «imbéciles endormis» qu’elle vilipende…
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Ce texte ne s’adresse pas à monsieur Mouawad – le dialogue avec l’intégriste s’avérant impossible.
À moins qu’il ne s’agisse de l’histoire d’un type qui voulait faire une analogie avec la chasse aux moulins, reste que si cet «auteur» fait preuve d’une certaine conséquence face à cette bavure, il ira jouer dans les ruelles ou sous les ponts.
La ferveur religieuse intégriste n’est pas réservée qu’aux grands tyrans.
Aux petits et aux très petits aussi.