Médecin
Il s’écrit beaucoup de choses sur notre système de santé. Mais on ne parle jamais des vrais problèmes…
Je suis médecin et je travaille en salle d’urgence depuis près de dix ans. J’ai travaillé en région, à Québec et je travaille maintenant dans la région montréalaise.
L’hiver dernier, on a dit que les hôpitaux étaient débordés à cause d’une épidémie de grippe. Aujourd’hui, on affirme que les hôpitaux sont débordés parce que nous connaissons un début d’épidémie de rhumes et d’infections respiratoires. On déclare qu’il manque de personnel, que les budgets sont insuffisants, que la population est vieillissante, etc.
Nous trouvons toutes sortes d’explications extérieures pour justifier notre incapacité à gérer l’achalandage et l’encombrement du système de santé.
Mais on ne parle jamais des vraies causes…
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Depuis dix ans, j’essaie de comprendre ceci: comment se fait-il que les corridors des urgences soient remplis de patients sur civières alors que des lits sont libres mais «administrativement fermés» sur les étages des mêmes hôpitaux? C’est aberrant! Depuis dix ans que je vois cette misère et que j’entends toutes sortes d’analyses sur le sujet, cette aberration existe toujours…
Voici la véritable raison de ce drame: administrativement parlant, un patient couché sur une civière dans un corridor d’hôpital coûte moins cher que s’il était couché dans un lit sur un étage. C’est le même patient qui a la même maladie; il nécessite les mêmes médicaments, les mêmes tests, il mange les mêmes plats, souille les mêmes draps et a besoin des mêmes soins et du même nombre d’infirmières. Mais dans les livres, il coûtera moins cher s’il reste couché dans le corridor. Absurde, non?
Et ça fait dix ans que ça dure!
Dans certains hôpitaux, les étages «fermés» sont encore intacts. Dans d’autres, on a retiré les lits «fermés» et transformé ces étages en lieux inutilisables. Et tout est calculé avec des achalandages minimums: il n’y a plus de jeu pour les débordements.
Pourquoi a-t-on fermé tous ces lits? À cause d’un calcul comptable. Parce que le ratio des lits d’hôpitaux par rapport à notre population était trop élevé. «Nos façons de faire doivent être inappropriées pour que nous ayons besoin de tant de lits pour soigner si peu de gens, ont dit les bureaucrates. On va donc diminuer le nombre de lits…» Et c’était correct en soi.
Le «virage ambulatoire» devait permettre de compenser ces manques. Mais on l’a avorté avant terme. On envisage maintenant d’autres scénarios, comme la médecine privée complémentaire.
On a amputé notre système de santé d’une partie de ses ressources, sans avoir pris le temps de mettre sur pied un vrai système compensatoire.
Pas étonnant qu’il y ait un débordement dans les hôpitaux. C’est le gros bon sens!
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Qu’on cesse de nous engourdir avec les débordements des salles d’urgence.
Qu’on me dise qu’un hôpital déborde, que des lits fermés ont dû être ouverts temporairement pendant que des solutions ambulatoires durables sont mises sur pieds… Mais, par humanisme primaire, qu’on cesse d’empiler les patients dans des corridors pendant que tout un chacun hurle comme si trois bombes nucléaires avaient sauté en même temps sur le Québec.
Et qu’on me foute à la porte tous ces administrateurs vils et imbéciles qui massacrent notre société et qui ne savent pas distinguer un hôpital d’une étable! Qu’on retire leurs noms de toute liste de donneurs d’organes potentiels, de crainte que leurs coeurs desséchés ne contaminent d’autres individus.
Et quand on affirme qu’une salle d’urgence déborde, j’aimerais qu’on me dise: il y a trente patients de trop à la salle d’urgence de l’hôpital X, où deux cents lits ont été fermés…