Rédacteur en chef, Voir Québec
Dieu existe, je l’ai rencontré, dimanche dernier.
Couvert de commandites des pieds à la tête, guidant le bras d’un gros quart-arrière de la Ligue nationale de football qui invoque son nom chaque fois qu’il garroche un ballon de cuir.
Trente-quatrième Super Bowl.
Pendant que des animaux de trois cents livres rotent du Gatorade sur les lignes de côté, Brenda Wagner, l’épouse du quart-arrière, explique: «Si mon mari a réussi à se rendre jusque-là, c’est bien grâce à la prière et à la foi chrétienne…»
Au deuxième quart, les collègues de Wagner fissurent les vertèbres cervicales du demi de sûreté Blaine Bishop. Plus mort que vif, le joueur reste enfoncé dans le terrain.
Un adversaire n’étant pas un ennemi, Wagner, ému, lâche un p’tit Notre père devant les caméras, en direct… Juste en cas… Ça peut pas faire de tort…
Fin de match. Dieu, fier des démonstrations de foi publiques de son quart-arrière, intervient dans un match plus que terne. Il arrache deux secondes au compteur, raccourcit de trente centimètres le bras de Kevin Dyson devant la zone des buts et… emporte au paradis tous les parieurs défaits qui n’ont pas vu de quel bord il penchait.
«Dieu a été bon pour moi», conclut le quart-arrière tandis que les pitounes sautent en l’air comme des anges autour de ce nouveau héros… «Dieu roulait pas pour nous», disent les perdants. Wow! Un miracle, un vrai, en direct. Thanks God!
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Dieu existe, je l’ai encore rencontré, au New Hampshire.
Golden boy des communications, conseiller électoral très sollicité, les candidats à la présidence se l’arrachent. C’est le début du gros ménage de printemps à la Maison-Blanche. Il faut changer les tapis souillés par des déjections gluantes. Nettoyer les cacas d’orteils que les milliardaires japonais ont laissés dans le lit d’Abraham Lincoln. Brûler les vieux dossiers qui traînent dans les coins. Quoi de mieux qu’une bonne dose d’eau bénite pour rafraîchir la Maison-Blanche? Candidats acteurs, candidats lutteurs, candidats plombiers, candidats éditeurs, tous fréquentent désormais l’église en famille trois fois par jour et ne titillent plus les mamelons de leur maîtresse qu’avec un chapelet béni, le soir.
Dans l’église de Houston, le corps du Christ torturé, bras tendus comme pour une injection fatale, n’impressionne pas George Bush Jr. Alcoolo repentant, le gouverneur du Texas a beau remercier Dieu chaque fois qu’il pleut, ce partisan féroce de la peine de mort a commis l’erreur de refuser une âme au pape.
Peut-être est-ce pour cela qu’en mi-match, Dieu retient le bras de ses électeurs pour se joindre à la croisade de John McCain qui n’a qu’un but: purger la Maison-Blanche des puissances de l’argent avec la grâce de Dieu. Et que peuvent les soixante-dix millions de Bush contre la grâce de Dieu?
La remontée spectaculaire de John McCain, underdog des primaires du New Hampshire? Wow! Un vrai miracle! Thanks God!
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Dieu existe, je l’ai reconnu malgré ses lunettes noires, son walkie-talkie et sa veste antiballe.
S’il entourait Preston Manning sur le plancher du congrès des réformistes, c’était pour mieux le protéger des extrémistes de son propre parti qui pourraient songer à lui faire la peau depuis qu’il a décrété que le Canada est un pays bilingue. On n’y récitera pas pour autant la prière du matin en classe dans les deux langues, mais l’union de la droite risque fort de remettre un peu de cette foi qui manque tant dans les affaires du pays. Dieu a des projets pour Preston. Dieu pense big.
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Dieu existe, mais je ne l’ai pas trouvé dans les propos d’un prince de l’Église.
Monseigneur Turcotte, l’homme qui doute que l’homme puisse descendre du singe, refuse toujours d’admettre quelque légitimité que ce soit aux revendications des Orphelins de Duplessis. Quel est le miracle? Que les évêques du Québec conservent une quelconque crédibilité lorsqu’ils parlent de justice sociale. Ça, c’est un vrai miracle.
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Dieu existe, mais pas moyen de lui parler.
Depuis qu’il s’est recyclé dans le spectacle, il filtre ses appels.