À synthoniser certaines émissions d’humour de la bande FM, on a parfois l’impression que l’imagination des animateurs est aussi fertile que le désert du Sahara. Les jours passent, mais les sujets demeurent: la bouche croche de Jean Chrétien, les péripéties de Céline et René, et les bonnes vieilles jokes sur les «tapettes».
Dans les années 70, les blagues sur les fifs visaient essentiellement Michel Girouard et Michel Louvain. Elles étaient vulgaires et méprisantes. Trente ans plus tard, les têtes de Turc ont changé mais le contenu dégradant demeure le même. Comme quoi, ça prend plus qu’un défilé dans les rues du Village pour faire changer les mentalités.
Bien sûr, en humour, il n’y pas de bons ou de mauvais sujets: seulement de bonnes et de mauvaises blagues. Les humoristes peuvent faire des blagues sur les homosexuels, comme sur les Noirs, les blondes ou les hommes roses. Tout est dans la façon. François Morency et Marie-Lise Pilote ont de très bons numéros sur les homosexuels. Ils abordent le sujet avec intelligence et doigté. Aux États-Unis, des sitcoms comme Seinfeld, Friends et Will and Grace traitent régulièrement des situations gaies, sans tomber dans le mauvais goût. Au cinéma, il y a eu des films comme In and Out ou Gazon maudit.
Toutefois, dans la majorité des jokes sur les fifs à la radio, on ne perçoit que du dégoût et des préjugés. À travers les clichés éculés de la folle et de la butch, ces animateurs ne font que donner des armes aux homophobes.
C’est faux de croire qu’un humoriste peut rire des gais de la même façon qu’il peut ridiculiser un politicien ou un gérant de caisse populaire. Aucun politicien ne cache sa profession à sa famille. Aucun gérant de caisse ne vit dans la peur de se faire attaquer dans la rue.
Dans notre société, des groupes sont victimes de propos et de crimes haineux. C’est le cas des homosexuels. Tous les ans, des milliers de gais et de lesbiennes se font battre, incarcérer, voire tuer à cause de leur orientation sexuelle.
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De plus en plus d’humoristes vont au-delà de la limite du vulgaire. Quand Normand Brathwaite a ridiculisé la vie privée d’Annie Pelletier au gala de l’ADISQ, l’automne dernier, il a dû lui faire des excuses publiques. Pourtant, quand l’animateur de CKOI improvise des gags sur «les fifs de MétéoMédia» et les «moumounes du parc La Fontaine», jamais il ne lui viendrait à l’esprit de se montrer plus respectueux. Après tout, il ne fait qu’évoquer l’orientation sexuelle de centaines de milliers de Québécois. Pas d’une plongeuse olympique…
Ça ne vole pas plus haut chez les compétiteurs de CKOI. Les animateurs de l’émission Les Grandes Gueules à CKMF, José Gaudet et Mario Tesser (en nomination dans la catégorie «Meilleure équipe d’animation d’humour radio» au prochain gala des Oliviers), avaient même popularisé un personnage gai qui parlait sur le bout de la langue. Chaque semaine, pendant le retour à la maison, «Sébastien» revenait sur sa passion pour les anus et les saunas. Les boys relatent aussi les histoires de Claire Voyante, une lesbienne. Dans le langage de ces humoristes, un gai est obligatoirement une moumoune qui ne pense qu’à se faire enculer; et une lesbienne, une butch qui ne veut que brouter sa blonde. En comparaison, les répliques de La Cage aux folles passent pour des discours pro-gais…
Un jour, un auditeur a téléphoné à l’une des grandes stations du FM pour faire la demande spéciale d’une chanson pour son chum. Résultat: les animateurs se sont bidonnés en ondes sur le dos du pauvre gars. Beau travail! Ce n’est plus de l’humour, ça, c’est de l’étroitesse d’esprit.
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Au commencement était l’injure. Tous les gais et les lesbiennes sortis du placard vous le diront: la menace de l’insulte est un des traits communs de leur existence. L’expérience du mépris est aux homosexuels ce que les boutons sont à l’adolescent: un passage inévitable vers la maturité.
Sans le réaliser, ces animateurs renforcent les préjugés qui collent à la peau de la communauté homosexuelle. Ce genre de radio serait-il le dernier bastion de l’humour homophobe au Québec?
L’auditoire des émissions d’humour à la radio est surtout constitué d’adolescents, un public dont les valeurs sont facilement influençables. Les blagues de fifs ont encore la cote dans les couloirs des polyvalentes. La violence envers la tapette de la classe demeure le sport favori de trop d’adolescents. Entre deux blagues, ces humoristes devraient se rappeler que le taux de suicide chez les adolescents gais est six fois plus élevé que chez les hétéros…
Certes, les comiques ne sont pas en ondes pour faire de la psychologie populaire. Mais ne pourraient-ils pas mieux se servir de cette tribune publique, au lieu de polluer les ondes avec un humour bas de gamme? L’humour est un art, pas une poubelle.
Bravo.