Grandes gueules

Small n’est pas toujours beautiful

Quand Richard Desjardins et Robert Monderie ont sorti leur film l’an dernier sur la forêt boréale (L’Erreur boréale), les journalistes ont brûlé leur réserve d’encens. On s’est perdu dans la boucane: tout était beau, clair, évident. On a même célébré le retour du film de gauche, autant dire la réapparition de la Vertu-en-soi.
Il a fallu attendre des mois pour qu’un journaliste, enfin, réponde à une vraie question de journaliste: c’est vrai ou c’est pas vrai, ce que raconte Desjardins? À ma connaissance, seule L’actualité y est allée de son enquête: Desjardins ne s’est pas trop gouré, même s’il a dérapé ici et là.
Desjardins n’a pas fait un film de fiction mais un documentaire. Une sorte de grand reportage où il entendait nous exposer des faits. Comme Desjardins est un artiste, un militant, qu’il ne prétend pas à «l’objectivité» et qu’il verse souvent dans le prêchi-prêcha, on pouvait ne pas prendre son film pour du cash. Il y avait là un beau sujet de reportage: est-on, oui ou non, en train de détruire la forêt boréale? Il n’est pas sûr qu’il y ait une réponse claire à la question mais admettons au moins qu’un défi était posé aux journalistes.

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C’est à des choses comme celles-là que je pense quand j’entends la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) s’inquiéter de la réduction des sources d’information. Elle l’a encore fait récemment à propos de l’achat éventuel de Vidéotron-TVA par Quebecor. En somme, nous disent les journalistes, la concentration est mauvaise parce qu’elle réduit les sources d’information; elle est même nocive à «la qualité de la vie démocratique qui sera compromise au profit d’intérêts avant tout commerciaux» (communiqué de la FPJQ).
Ouais. Après avoir travaillé dans cinq salles de rédaction de quotidiens, sur une trentaine d’années, j’en suis venu à la conclusion qu’on n’avait pas tellement besoin des gros capitalistes pour réduire les sources d’information. Les journalistes s’en chargent eux-mêmes.
Quand ils se mettent tous nsemble à célébrer la même messe, à former des troupeaux autour des ministres, à s’agglutiner aux mêmes conférences de presse, à reprendre les mêmes communiqués, que font-ils sinon réduire les sources d’information aux choses les plus faciles d’accès?
Par exemple, à peu près aux six mois, un lobby nous annonce un nombre record «d’enfants pauvres». On dirait une spécialité canadienne au même titre que le sirop d’érable. Ça fait invariablement la manchette des journaux écrits et électroniques, sans plus de vérification.
Il suffit qu’un groupe militant, un syndicat, un lobby organise bien la diffusion de sa salade pour que ça devienne la vérité d’une journée dans les médias. Si vous annoncez la découverte d’un nouveau lot de victimes, vous remportez le titre de héros du jour.
Alors, tous pourris, les journalistes? Non. Il y a toujours dans les salles de rédaction quelques esprits indépendants et entreprenants pour sauver l’honneur de la profession. Et cela n’a rien à voir avec la taille de l’entreprise. Cela a bien plus à voir avec les individus.

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Il y a longtemps que le journalisme a cessé d’être un lieu de rencontre de marginaux, d’aventuriers et d’instables. Tout s’est normalisé. Comme dans à peu près toutes les professions organisées – «corporatisées» ou syndiquées -, la vaste majorité des journalistes aime la régularité, les échelles et les horaires fixes, déteste l’imprévu et le déplacement des chaises, s’accommode de la routine et surveille de près le rendement du fonds de pension. Oubliez Scoop! La fébrilité journalistique est un mythe. Le journalisme est une profession pépère.
«L’intranquillité» et l’esprit d’aventure qui devraient être les vraies marques de ce métier ne se retrouvent pas plus dans les petites boîtes que dans les grandes. Small n’est pas nécessairement beautiful. Ce sont souvent de grands journaux qui ont abrité les aventuriers de la plume.
Je crains bien plus la tranquillité générale de la profession de journaliste que les visées de Quebecor. Vontils trop concentrer? C’est possible. Et ce serait peut-être une bonne chose, tiens! Le jour où l’on en aura assez de lire et d’entendre Quebecor, des aventuriers vont surgir, vont faire du neuf, vont devoir se grouiller le cul pour survivre et l’on connaîtra alors quelques bonnes années de journalisme.
En attendant, avouez qu’on s’ennuie certains jours!