Il y a quelques années, l’excellence était le mot d’ordre en éducation. Mais cette lubie de la «qualité totale» a été emportée dans la débâcle des coupures et compressions.Par mesure d’économie, on se replie désormais sur la seule réussite scolaire.
Le coût social de l’échec scolaire, on le sait, est énorme. Ceux qui plongent dans le marché du travail sans pouvoir s’accrocher au moindre diplôme sont condamnés à être emportés par les incessantes vagues de mises à pied. La lutte à l’échec scolaire devrait être partie intégrante d’un projet éducatif ayant pour but le bien des élèves: elle n’est rien de plus qu’une stratégie comptable. On fait la promotion de la réussite scolaire parce que chaque cours échoué entraîne des frais supplémentaires pour le Ministère.
Le Gouvernement a commencé par refiler la facture du déficit à ses employés. Tant qu’on a pu augmenter les cadences d’enseignement en mettant de l’avant une pédagogie de chaîne de montage, on l’a fait. Sauf qu’il n’est plus possible d’augmenter la tâche des profs. Pas à cause des limites à la surcharge de travail qu’imposent les conventions collectives: l’État n’hésite pas à réécrire comme bon lui semble les ententes qu’il a signées. C’est parce que les contraintes à l’augmentation de la tâche des professeurs sont désormais strictement matérielles: les classes sont pleines! Les établissements d’enseignement ne peuvent pas entasser plus d’élèves sous leurs toits sans acheter de nouvelles chaises, de nouveaux pupitres, sans entreprendre des travaux majeurs de rénovation afin d’agrandir les locaux. Le Ministère en est rendu à l’étape où l’augmentation de la productivité des professeurs, loin d’entraîner une réduction des coûts, les grossirait considérablement. Alors on taxe les élèves!
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La «taxe à l’échec» se fonde sur le principe d’une amende aux contrevenants: comme si on échouait à un cours de la même façon qu’on brûle un feu rouge! Comme si les difficultés d’apprentissage que manifestent nombre d’élèves relevaient d’une forme de délinquance. L’élève qui décide de tenter à nouveau sa chance après avoir échoué le cours qu’il a suivi «gratuitement», doit désormais débourser afin de le reprendre: l’échec devient proprement payant pour le Gouvernement.
Sauf que tous les sociologues vous le diront: les élèves qui connaissent les plus importantes difficultés d’apprentissage sont généralement issus des milieux les plus défavorisés. Bien sûr que les gosses de riches aussi échouent! Sauf que papa-maman ont les moyens de les ramener autant de fois qu’il le faudra sur les bancs d’école. Les élèves les plus pauvres sont, en partant, des candidats au décrochage scolaire: la taxe à l’échec les pousse vers la porte de sortie.
Les pédagogo-boys du Ministère se défendront en clamant que cette forme de taxage est compensée par un plan d’action ayant pour but l’augmentation du taux de réussite dans les cégeps. Mais le Ministère n’investit pas le moindre sou dans la réussite scolaire: tout est à la charge des enseignants. Et sensible au fait que les professeurs abattent déjà un sapré boulot, on ne leur demande pas grand-chose de plus: seulement d’identifier, parmi les cent vingt et quelques étudiants dont ils ont la responsabilité, ceux qui sont en voie d’échouer. Sans leur donner les moyens de faire autre chose que de sensibiliser les élèves au fait qu’ils sont en difficulté. Ce qui ne peut avoir qu’une seule conséquence: décourager les jeunes, et les conduire à délaisser le cégep pour de bon.
La taxe à l’échec pousse un nombre de plus en plus grand d’élèves à abandonner leurs études. Certes, on réduit ainsi les coûts de l’échec scolaire, mais c’est au prix d’une augmentation du nombre de jeunes sans diplôme. Et cela au profit d’une odieuse rationalisation consistant à débourser le peu de ressources qu’on consacre à l’éducation à la formation des seuls «bons» élèves, et à abandonner les plus lents à leur propre sort. Une école «performante» est une école au profit des élèves les plus forts.
L’échec scolaire coûte cher au Ministère; ce sont les élèves qui paient le prix de la réussite. On réduit le nombre d’échecs en réduisant le nombre d’élèves problèmes: en débarrassant l’école de ceux qui ont des difficultés à réussir. L’augmentation du taux de réussite scolaire n’a pas pour but l’amélioration globale du niveau de formation et d’instruction de la population. On cherche seulement à dépenser le moins d’argent possible pour ces losers que sont, en partant, les élèves issus des milieux défavorisés: ceux-là mêmes pour qui l’école est souvent la seule chance de connaître une existence meilleure que celle de leurs parents.
L’éducation supérieure est en train de redevenir un luxe que de moins en moins de personnes auront les moyens de s’offrir. Il y a déjà trop de chômeurs instruits. On est en train de régler le problème en s’arrangeant pour produire des chômeurs… tout court!