Grandes gueules

Le civisme du Grand Montréal

J’ai toujours aimé me promener à Montréal pour la gentillesse et la courtoisie des gens qui m’ont souvent abordée sans détours. Par ailleurs, je ne suis pas du genre à me formaliser de certaines conventions qui prennent du bide en vieillissant; je n’en vois pas l’importance. Mais il y a des règles élémentaires, vous savez, des trucs qui vont de soi et qui ne seront jamais surannés.

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Le Grand Montréal n’est plus ce qu’il était. Bien sûr, tout change et ce n’est pas pour le mieux à tout coup. Le Grand Montréal n’est plus aussi charmant, galant, souriant… Le Grand Montréal est pressé. Pressé de rentrer dans sa banlieue, d’aller faire des courses, de passer à la garderie, d’aller manger une glace, de tailler une pipe, de traverser le pont pour ses vacances, d’aller glander dans un festival.

Le Grand Montréal vous claque la porte au nez lorsque vous sortez du supermarché ou du Royaume de la gougoune (chez Jean Coutu). Le Grand Montréal vous bouscule au passage sans s’excuser, sans même daigner vous regarder. Il n’a plus le temps et, par conséquent, l’espace vient à lui manquer. Lui si avenant, si élégant jadis.

Le Grand Montréal se promène en auto, à vélo, à pied, en patins à roues alignées ou en chien. Il circule dans toutes les directions, impatient et imbu de lui-même. Il vous coupe sur un coup de roue, engorge les pistes cyclables avec son gros cul mou. Il faut bien le dire, le Grand Montréal a pris un coup de moron. Il fait n’importe quoi n’importe comment avec n’importe qui, et c’est chiant.

Remarquez, je n’ai rien contre les pistes cyclables à condition qu’elles soient cyclables. Elles sont hélas devenues un danger public. Vous croyez que j’exagère? Allez faire un tour au coin de Saint-Antoine et de Berri. La folie furieuse! Les sens de circulation s’inversent, le plus agressif s’imposant et ce, même à un rythme de tortue.

Ceux qui roulent à un rythme d’enfer, alors là, je vous dis pas. Je parle des cyclistes, des vrais. Ceux qui passent en flèche, que tout le monde voit et qui ne voient personne; qui sont prêts à faire n’importe quoi pour battre leur record de la semaine. Ils sont chics mais tout aussi dangereux que les attardés réguliers. En fait, avant d’ouvrir les pistes cyclables, on aurait dû  en donner une définition complète au Téléjournal avec un mode d’emploi.

Si vous parvenez à vous dégager de la cohue pour finalement monter la côte jusqu’à Cherrier, c’est inévitable, un cul sur deux pattes avec des écouteurs dans les oreilles prendra toute la largeur en ralentissant la circulation derrière lui. Peu importe, il circule et on le voit. Impossible de le manquer avec ses longues jambes et son sourire niais. Il est tellement beau, le cul, que tout le monde lui sourit, le remarque. Il existe en lui-même, enfin!

Que le Grand Montréal en revienne de son beau petit cul, de sa belle petite gueule, de ses petites fringues, de sa thérapie personnelle et du je me moi. Les pistes cyclables ne sont pas faites pour se récurer le nombril ni pour se vernir les ongles.

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Et il faut voir comment le Grand Montréal traverse la rue à pied. D’une lenteur non  seulement irritante pour tout automobiliste ou cycliste, mais franchement dangereuse. C’est à croire qu’il est seul au monde, le pauvre chéri. Et il l’est. Qu’il provoque un accident parce tout le monde attend pour qu’il bouge, ça ne le gêne pas du tout. Il a la priorité, c’est tout. C’est tout et c’est bête.

Vous circulez sur le trottoir avec votre bécane à vos côtés (et je dis bien : à vos côtés)? Le carrosse, le père, la mère et le chien vous regardent de travers. Vous prenez trop de place. Le bouquet! N’y aurait-il plus de place pour tout le monde dans le Grand Montréal?

Pour tout dire, ce n’est plus agréable de vivre dans le Grand Montréal parce qu’il ne tient pas compte des autres. Il est devenu trop préoccupé par lui-même pour laisser le passage, attendre son tour et respecter les règles de civisme qui font que l’urbanité est vivable.

Et il s’agit de si peu pour nous rendre la vie humaine ou inhumaine.

Il y en a qui aiment La Belle Province mais qui la vomissent à bouche-que-veux-tu; et d’autres, qui aiment le Grand Montréal mais qui lui tirent la langue, l’engueulent et l’emmerdent. J’en suis.