C’est la plus grosse histoire de la saison: CBS qui parachute des apprentis cadres dynamiques sur une île déserte pour les voir se disputer un million de dollars. C’est la plus grosse histoire de la saison, et tous les chroniqueurs en ont parlé. C’est tellement une grosse histoire qu’on a même sorti le prof Desaulniers de l’UQAM (notre spécialiste de la télé) pour qu’il nous dise qu’au Québec, ce genre d’émission ne pourrait se faire car on n’aime pas la compétition.
Oh! qu’il nous a rassurés, le prof Desaulniers, sur le pacifisme intrinsèque des Québécois!
Y a plein de choses qui me tourmentent dans l’affaire Survivor, à commencer par un tout petit détail que personne, à ce qu’il me semble, n’a cru bon relever.
Vous croyez ça, vous, qu’on les a largués comme ça, sur une île déserte, au péril de leur vie? Vous croyez tout bonnement qu’on a pu faire d’aussi bonnes images en planquant des webcams dans tous les coins? Vous croyez qu’on prendrait l’énorme risque financier que ça foire? Vous croyez qu’on a improvisé? Que les compagnies d’assurances étaient d’accord? Que les candidats n’étaient pas continuellement entourés par les équipes techniques? Qu’ils n’avaient pas leurs loges pour aller se reposer entre deux prises? Qu’on n’a pas soigneusement réparti les cachets? Que le rat cuit n’était pas du Poulet Frit Kentucky?
Vous croyez n’importe quoi, alors. Et vous devez croire que les invités chez Springer sont de vraies personnes…
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Ou bien, vous ne le croyez pas, mais vous croyez quand même aux émotions qu’on vous a présentées. Vous avez cru à la comédie de la «méchante bête humaine qui se déchaînait pour le fric». Vous avez cru qu’on pouvait devenir un monstre, même en se faisant couper trois fois pour recommencer le plan. Vous vous êtes dit: «Oh, que c’est laid au fond de moi, et prions pour que ça ne sorte pas!»
Vous vous êtes dit qu’il valait mieux être riche et en santé, et que le pauvre pouvait tomber bien bas. Vous vous ête entendu penser qu’il faisait vraiment bon vivre dans l’American way of life qui nous préserve, Dieu merci, du déferlement bestial des pulsions barbares.
Les expériences de psychologie desquelles Survivor pourrait s’inspirer sont nombreuses (Milgram, Zimbardo, Asch, etc.). Mais Survivor n’est pas et n’a jamais été une expérience de psychologie. Survivor est un studio de télé. Survivor, c’est The Truman Show à l’envers. Ce ne sont pas les participants du jeu qui sont le dindon de la farce, c’est nous. C’est nous qui ne savons pas que le show nous met en scène dans toute la splendeur de notre crédulité. Le message, c’est le sujet lui-même, pas les images. C’est nous qui prenons la télé pour du cash, le cash pour de la télé, et la vraie Rita Lafontaine pour son personnage.
Je dis «nous», mais c’est surtout le cas des Américains. Quoique…
Quand le prof Desaulniers dit que le peuple québécois n’est pas belliqueux, qu’on est un petit peuple et que c’est pour cela même qu’on a une sainte horreur de la violence, il étire l’élastique de l’interprétation anthropologique jusqu’à se le péter dans l’oeil. Les Québécois, moins belliqueux? La violence, un concept pas de chez nous? De quels Québécois il parle, le prof Desaulniers?
Les Américains ne sont pas plus violents que nous. Ils sont plus nombreux. La misère les afflige davantage. Et ils dominent le monde.
S’il y a moins de violence, dans les médias québécois, ce n’est pas à cause du pouvoir inconscient des déterminismes collectifs, mais parce que l’État contrôle encore les contenus.
Et puis, toutes proportions gardées, pour un Jerry Springer, on a tout de même eu notre Black-out; pour un Howard Stern, on a notre André Arthur; et puis on écoute tout le reste, les émissions traduites où les avions s’écrasent et où les pit-bulls devenus fous se lancent à la poursuite des enfants. Il ne regarde pas la télé, le prof Desaulniers?
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Les méias sont malades d’une chose. Pas de la violence, mais du manque de contenu. On aura beau multiplier la fibre optique et vendre Vidéotron, il faudra toujours faire circuler quelque chose dedans. Et ça, ça échappera toujours au financier avide, parce que le contenu, c’est le privilège de l’artiste, et que ça ne se trouve pas si facilement, un artiste.
Parce que ça prend de la culture, et que la culture, il y en a de moins en moins, vu qu’on écoute beaucoup les reality shows