Un garage pour ma voiture en panne, un chenil pour placer minou pendant les vacances, un foyer pour mes parents malades et, maintenant, une garderie de nuit pour mon bébé.
Attention! Ce «privilège» ne sera pas offert à tous. Pour l’instant, seuls quelques travailleurs «atypiques» – dont les employés du Casino de Montréal, la vache à lait de notre gouvernement – pourront se prévaloir de ce service.
La garderie du Casino n’est pas terminée de construire qu’elle a déjà un nom: les Casinours. Faut-il en rire ou en pleurer?
Personnellement, ça me donne la nausée. Je sais, on me répondra que je suis privilégiée, que je ne suis pas obligée de travailler la nuit, etc. Mais je me demande: les couples dont les deux conjoints travaillent la nuit sont-ils si nombreux? Est-ce qu’un parent qui élève seul son ou ses enfants ne pourrait pas être assuré d’un travail diurne afin de pouvoir être avec eux la nuit?
Lorsque le petit Guillaume ou la petite Sophie se réveilleront en pleurant à trois heures du matin, dans le beau dortoir neuf des Casinours, qui viendra les consoler? La monitrice Black-Jack ou le surveillant Roulette russe? «Bravo au petit Jonathan qui a découvert trois cartes identiques. Il gagne une collation supplémentaire! Maintenant, c’est l’heure du tirage au sort de la suce!»
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On rit, sachant très bien que ce n’est pas drôle. Car en créant cette garderie qu’on s’empresse de qualifier de «mesure exceptionnelle», on vient d’accepter l’idée qu’il est désormais possible de faire garder ses enfants la nuit. Qui sait où cela nous mènera?
J’entends déjà le patron de l’entreprise X, monsieur Productivité en personne, dire à son assistante: «Mais voyons, Lison, vous pouvez très bien rester pour ce dernier petit rapport. Après tout, les garderies sont ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce n’est pas pour rien.»
La fermeture des garderies à 18 heures (ou 19 heures), c’est un frein, une frontière à ne pas franchir, une sonnett d’alarme qui nous dit STOP, c’est assez, arrête. Rentre à la maison.
Sans cette limite, qui sait jusqu’où nous serions capables d’aller, comme société? Saurions-nous seulement nous arrêter? «Donnez-moi une heure de plus, je vais la prendre. Deux? Pas de problème, le petit s’amuse tellement à la garderie. Il se développe beaucoup mieux que s’il passait ses journées à la maison.» Pas de doute, nous sommes les champions de l’autojustification.
Une garderie la nuit? Pourquoi faire des enfants si nous ne sommes pas là pour les endormir le soir? Suis-je réac, de droite, antiféministe ou quoi encore? Pas du tout. Je crois seulement qu’un enfant, ça doit dormir dans son lit avec son toutou, sa doudou et un des deux parents dans les parages.
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Une société qui offre à des parents la possibilité de faire garder leurs enfants la nuit est une société qui a abandonné, une société qui se résigne à obéir aux besoins (et aux lubies) de l’entreprise. «L’entreprise a besoin de vous? Pas de problème! Vous serez disponible en tout temps.»
Et après, on viendra nous dire que la famille est au premier plan des préoccupations de ce gouvernement?
Alors, c’est quoi la solution? Fermer toutes les entreprises qui fonctionnent la nuit? Interdire les emplois nocturnes aux parents? Renvoyer les femmes à la maison? Non. Tout simplement s’assurer que les parents aient du temps pour élever leurs enfants. Même si c’est une tâche drôlement dévalorisée dans notre société.
C’est qu’ils nous tapent sur les nerfs, les parents, avec leurs histoires de garderies, la fièvre du petit dernier, la morve, la saleté, les cris, les pleurs, les nuits blanches, et j’en passe. Dans un univers où le grand drame de la journée, c’est d’éprouver des difficultés avec son ordinateur, dans un monde où le Palm Pilot a remplacé notre meilleur ami et où nous poussons les hauts cris parce que notre système haute-vitesse ne va pas si vite que ça, des enfants, ça dérange. Beau concept mais dure réalité.
Mis pour combien de temps encore?
On peut programmer leur naissance et les faire garder jour et nuit. On pourra bientôt choisir la couleur de leurs yeux et, pourquoi pas, le timbre de leur voix. Qui sait? Avec les garderies nocturnes, on commencera peut-être à leur enseigner pendant leur sommeil? «2+2 = 4», «Je est la première personne du singulier», «Moi j’aime McDonald»…
Après le Québec fou de ses enfants, le Québec rend ses enfants fous?