Grandes gueules

Réflexion sur la peine de mort

Ça y est.
Comme il était prévisible, les propos de Maurice Dantec sur la peine de mort (publiés dans Voir il y a trois semaines) ont suscité l’indignation de certains lecteurs…
Parmi ceux-ci: François Bugingo. Dans sa réplique à l’écrivain français parue il y a deux semaines (un texte bourré de lieux communs), monsieur Bugingo affirme que la peine de mort est immorale.
À l’aide d’une série de questions plutôt pathétiques, monsieur Bugingo s’emploie à supplier notre coeur et à convaincre notre intelligence que "les hommes ne sont pas faits pour être tués, sous aucun prétexte".
"Avez-vous déjà vu les yeux d’un condamné à mort sur le chemin de l’exécution? écrit-il. Ceux qui ont violé, tué, torturé. (…) Avez-vous vu, derrière ces visages de salauds, des regards d’hommes, pris dans le tourbillon et l’ingratitude du destin? Avez-vous parlé à ces mères et à ces épouses qui demandent qu’on épargne leurs fils ou leurs maris?"
Tout cela est très touchant, il faut en convenir.
Ce qui est moins touchant, c’est le fait que monsieur Bugingo semble ne pas se soucier de poser les mêmes questions aux "mères" et aux "épouses" des gens dont "l’ingratitude du destin" a voulu qu’ils croisent malheureusement le chemin de ces "salauds".

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Il ne s’agit pas ici de prôner la peine de mort tout court. Mais de dire qu’elle doit s’appliquer dans certains cas.
Monsieur Dantec n’aurait pas pu être plus clair à cet égard. Dans l’entrevue qu’il a accordée à Voir, l’auteur du Théâtre des opérations affirme que la peine de mort devrait viser "les responsables de crimes contre l’humanité et des crimes de guerre; les tueurs en série sociopathes; les gangsters organisateurs d’assassinats et les violeurs à répétition". Je me permets de rajouter à cette liste les auteurs de crimes particulièrement haineux, spécialement ceux motivés par le racisme.
Tout récemment (j’en ai lu le compte rendu dans le Globe and Mail du 31 août), un tribunal allemand a condamné à la prison à perpétuité un néonazi (ses deux complices, mineurs, passeront neuf ans en taule) reconnu coupable d’avoir tué, le 11 juin dernier, un immigrant originaire du Mozambique.
Monsieur Alberto Adriano a été attaqué sans aucune raison dans un parc de la ville de Dessau (dans l’ex-Allemagne de l’Est) et tué sauvagement à coups de pieds sur la tête tout simplement à cause de la couleur de sa peau.
Heureusement pour monsieur Bugingo, ce "salaud" de néonazi n’a pas été condamné à mort – chose dont il se réjouit, j’imagine. Moi, je dois l’avouer, je m’en réjouis moins. Si Enrico Hilprecht (tel est son nom) avait été condamné à l’échafaud, je ne m’y serais pas opposé, bien au contraire.
On l’imagine, ce pauvre bougre, méditer inlassablement dans sa cellule sur "l’ingratitude du destin". Peut-être était-il bouleversé par la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne. Peut-être s’agit-il d’un chômeur désoeuvré. Peut-être a-t-il été poussé par cette force mystérieuse et implacable qui gouverne notre vie (parce que, comme vous le savez tous, nous ne sommes responsables ni de nos paroles ni de nos actes) à joindre ce groupuscule d’enfoirés. Peut-être a-t-il été contraint au meurtre par naïveté ou à cause d’une "mauvaise compagnie"… Qui sait ?
Mais peut-être aussi que monsieur Bugingo devrait demander à l’épouse de monsieur Adriano (qui, entre-temps, a reçu des menaces de mort par téléphone) et à ses trois enfants, si ils ont effectivement détecté derrière le visage de l’assassin un "regard d’homme pris dans le tourbillon et l’ingratitude du destin".

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Pour monsieur Bugingo, être pour la peine de mort est une "forme d’ignorance". Mais la véritable "forme d’ignorance" (elle aussi très "feutrée", "mondaine" et "aseptisée") contre laquelle il faut s’insurger est celle qui défend, avec une obstination insupportable, la fausse égalité prônée sans cesse de nos jours dans toutes les soi-disant démocraties et qui nous force, entre autres choses tout aussi détestables, à accepter que les individus de la trempe de monsieur Hilprecht jouissent des mêmes droits que tous.

Réplique de François Bugingo:
Monsieur Gilardino, je vous mets au défi de donner des exemples où la violence extrême a résolu une autre violence; un cas où deux lignes croches jointes ensemble en ont fait une droite.
Je suis un Noir. Le racisme, je l’ai connu.
Je suis un Rwandais tutsi. Le massacre des miens a été accompli à 80 %. Mais l’exécution des bourreaux ne ressuscitera pas les morts et n’apaisera pas nos coeurs à jamais endoloris. Les visages de ceux qui ont perdu leurs proches, je n’en ai pas seulement vu, j’en porte un, ma mère aussi, mes soeurs et mes amis. Le Rwanda est rempli de ces regards endeuillés.
Je ne joue pas au pathos ou à l’écrivain illuminé, je ne joue jamais avec la mort. Car dans chaque vie sacrifiée dans la violence, c’est beaucoup de notre humanité que nous perdons… Quant aux criminels de guerre ou autres racistes, je n’en défends aucun, je vous demande seulement de remonter la filière de leur existence. Remonter très haut, afin de trouver tous les responsables de ces crimes.