Grandes gueules

Violences

Dans Pay It Forward, film actuellement sur les écrans québécois, un petit garçon décide de changer le monde. Je ne vous dis pas comment, pour ne pas gâcher votre plaisir, mais je vous dis quand même qu’il meurt poignardé dans la cour de l’école à la fin du film. Sans doute l’auteur voulait-il démontrer qu’être une bonne personne est un métier risqué.

La semaine dernière, un tenancier de bar de Terrebonne, Francis Laforest, a été battu à mort par des criminels parce qu’il ne voulait pas qu’on vende de la drogue dans son établissement. Monsieur Laforest avait des principes et il est mort tout comme le petit garçon du film.

Comment ont-ils réagi, à Québec et à Ottawa? Sanglots longs, mais pas vraiment de réaction. Ils sont tellement énergiques contre le crime organisé, à Québec et à Ottawa, qu’ils vont trouver le moyen de nous dire, entre deux larmes de crocodile, qu’un meurtre à coups de bâton de base-ball au lieu du revolver, c’est le signe que les organisations criminelles s’appauvrissent. Je vous parierais ma chemise que quelqu’un va nous la servir, celle-là. Ou une autre dans le même genre.

Une manifestation a suivi ce drame affreux. On en a profité pour signer des pétitions, dont une pour Radio-Canada, demandant le retrait de la série Tag, jugée trop violente. Dans la même semaine, certains Italiens se sont plaints de la série The Sopranos, de son langage, de sa violence et de l’insidieuse association faite par la publicité entre les pâtes et les revolvers.

Je ne suis pas dans leur tête, je ne peux donc pas l’affirmer, mais je serais bien surpris que les auteurs de Tag et des Sopranos aient eu envie de nous inciter à la violence. Je dirais même que c’est plutôt le contraire. Et je doute fort que les assassins de monsieur Laforest aient pris leur idée dans Tag ou dans Les Sopranos.

Je ne crois pas que les assassins regardent beaucoup la télévision. Les députés regardent la télévision, pas les assassins.

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À la manifestation de Terrebonne, il y avait, entre autres, Michel Auger, dont on ne parle plus beaucoup. Déjà. Comme si on ne lui avait pas vraiment tiré dessus, comme si sa vie était une fiction.

Ils tuent des patrons de bar, ils visent des journalistes. Ils vont finir par s’essayer sur un policier. Et puis, un de ces jours, sur un ministre ou un sénateur. Ce jour-là, vous verrez, la Charte des droits sera beaucoup moins Charte et encore moins enchâssée. Soudainement, elle ne posera plus de problèmes, la Charte.

Comme le disait mon beau-père, dimanche dernier, au dîner: "Ça leur en a pris moins que ça, en soixante-dix, pour nous sortir les chars d’assaut." Faut dire que les felquistes étaient chômeurs et pas dans les affaires, comme ceux qui ont tiré sur Auger ou tué Laforest.

Dimanche dernier, monseigneur Turcotte écrivait dans Le Journal de Montréal "qu’il faut combattre la violence et la pauvreté". Je suis d’accord avec vous, monseigneur. Mais qu’est-ce que vous allez faire, vous, comme prêtre et expert en relations publiques pas trop porté sur l’engagement dans le quotidien? Bénir nos fusils?

Je sais que vous n’iriez pas jusqu’à risquer d’incommoder vos amis des gouvernements en donnant des noms et des solutions. Vous avez parfaitement raison, il faut combattre la violence, vu que pour combattre la pauvreté, vous avez déjà donné. Parce que vous l’avez vraiment combattue, la pauvreté!
C’est en tout cas l’avis des Orphelins de Duplessis.

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Finalement, la violence à la télé, c’est vite dit. On a un premier ministre qui a déjà failli étrangler un manifestant devant les caméras; qui a fait asperger des jeunes de poivre de Cayenne et qui, la semaine dernière, encore devant les caméras, a bousculé un journaliste. Vous me direz qu’il a un peu raison, vu que son service d’ordre est bourré d’incompétents et de gens trop délicats, mais tout de même! Si on retire Tag et Les Sopranos de la télévision, est-ce qu’on ne devrait pas penser à le retirer lui aussi?

La plus haute autorité politique de ce pays qui se permet de perdre le nord à tout bout de champ, déjà qu’elle a du mal à s’orienter en Palestine, est-ce vraiment un bel exemple pour notre jeunesse?

N’oubliez pas, une élection, c’est une pétition fatale. Je vous le dis comme ça, au cas où vous auriez l’idée, au contraire de monseigneur Turcotte, d’ajouter l’action à l’indignation.