Grandes gueules

Décriminalisons la prostitution!

Président de Médecins du monde Canada

Ces derniers temps, nous avons souvent entendu parler de la prostitution. Comme le dit bien le rapport du Comité montréalais sur la prostitution (1999), c’est un sujet difficile, qui ne se prête pas à une position tranchée. Cependant, la nécessité de trouver une solution pour modifier les conditions dans lesquelles s’exerce la prostitution se fait sentir de manière de plus en plus urgente.

À ce jour, la prostitution en soi n’est pas illégale au Canada: il n’est pas interdit de se prostituer, c’est-à-dire de vendre des services sexuels. Le phénomène est plutôt régi par des lois et règlements qui touchent les activités connexes, tel la sollicitation dans un endroit public, le transport d’une personne vers une maison de débauche, ou le fait d’habiter, de tenir ou de se trouver dans une maison de débauche.

Que ce soit au Québec ou ailleurs, de nombreuses initiatives ont essayé d’enrayer la prostitution. Cependant, aucune de ces démarches n’a réussi à la faire disparaître.

Nous pensons que même avec les méthodes les plus dures, il serait impossible d’enrayer la prostitution de ruelle. Par conséquent, l’objectif est alors d’en réduire les méfaits, pour tous les acteurs concernés: ceux qui la pratiquent, ceux qui la "subissent", ceux qui la gèrent et ceux qui l’utilisent.

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Il faudrait envisager la possibilité de réglementer la prostitution en dehors du Code criminel: faire en sorte que ces activités soient régies par des normes et des codes déjà en vigueur dans notre société.

La criminalisation de la prostitution contribue à marginaliser davantage les travailleuses du sexe (TS) et à les tenir à l’écart des services auxquels elles ont droit. Cela les rend plus difficilement atteignables par les programmes de promotion de la santé et par les organismes communautaires. Ceci les expose également à diverses formes de violence et d’abus.

Toute forme de légalisation qui impliquerait un contrôle sanitaire obligatoire des activités prostitutionnelles (enregistrement des TS à un dépistage obligatoire, par exemple) est discutable. Ceci augmenterait la stigmatisation des TS comme étant des vecteurs de transmission et, de plus, le dépistage obligatoire rassurerait les clients sans pour autant protéger les TS vis-à-vis des personnes réticentes à utiliser le condom.

Dans les différentes formes de réglementation, il faudrait prendre en compte les récriminations des populations ayant à cohabiter avec les TS dans les zones où la prostitution se fait plus visible. Les habitants des quartiers résidentiels où se pratique la prostitution sont choqués de la présence des prostituées. Ils peuvent être exposés aux déchets provenant à la fois de la prostitution et de la drogue. Ils peuvent également être témoins d’actes sexuels dans la rue ou sur leurs terrains privés. Ils sont offusqués par des marques d’exhibitionnisme. Les femmes de ces quartiers craignent de sortir de chez elles de peur de se faire harceler par des clients. Bref, les citoyens réclament plus de sécurité.

La décriminalisation de la prostitution n’empêcherait nullement de prohiber la sollicitation près des écoles, parcs, garderies ou autres lieux fréquentés par les jeunes, de prohiber l’exhibitionnisme, d’interdire la prostitution juvénile, etc.

Ainsi, toute approche devrait inévitablement être développée en concertation avec tous les acteurs concernés (TS, citoyens, policiers, intervenants communautaires) et être conçue pour l’ensemble du territoire montréalais. La prostitution n’est pas seulement pratiquée dans le Centre-Sud!

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Médecins du monde est d’avis que, de la même manière que les centres d’échange de seringues n’ont pas contribué à augmenter la consommation de drogue, mais plutôt à sécuriser l’utilisation des seringues et à réduire les risques, rien ne nous laisse croire que la décriminalisation de la prostitution aura comme effet d’augmenter cette pratique. Cette action permettrait, au contraire, de la rendre plus sécuritaire pour ceux qui la pratiquent et pour tous ceux qui la côtoient.