Grandes gueules

La grattelle

Dans l’émission Les Francs-tireurs diffusée la semaine dernière à Télé-Québec, Roger D. Landry, le monsieur du Gala de l’Excellence, ancien éditeur de La Presse, maintenant devenu conseiller chez National, a affirmé que l’État, par ses programmes sociaux, encourageait la paresse et faisait la promotion du parasitisme économique. "La pauvreté, c’est comme la grattelle, ça se transmet dans la même famille", a-t-il déclaré.

À vue de nez, le monsieur a raison. Dans une famille, lorsqu’on trouve un pauvre, on en découvre habituellement quelques autres. C’est comme pour les nègres, les juifs ou les Arabes. La mauvaise race est un autre genre de maladie hautement contagieuse. La preuve, c’est qu’on trouve les étrangers le plus souvent par bandes, dans des ghettos. Les pédés aussi viennent souvent par deux du même genre, voire à plusieurs dans un même quartier.

Mais quelles sont les chances pour qu’un pauvre nègre pédé aille un jour chercher une plaque au Gala de l’Excellence de Roger D. Landry? Pas des tonnes. Pas parce que les gens qui fréquentent ce genre d’événements sont cyniques, racistes ou indifférents face à la misère. Simplement parce que la grattelle étant une maladie contagieuse, le risque de l’attraper au contact des malades demeure relativement élevé. Alors on empêche les pauvres d’entrer, pour des raisons purement médicales.

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C’est aussi à cause de la virulence de la grattelle qu’on n’admet pas les pauvres dans les grands restaurants. Seulement les "Magnificent People" (dixit Landry dans Le Temps des bouffons, de Falardeau). Le genre à avoir chauffeur ou hélicoptère, qui décolle du toit de sa maison pour aller sur le toit de son bureau, en évitant du même coup le sans-domicile fixe qui tend la main sur le trottoir, en crachant ses poumons dans son mouchoir. On laisse cependant entrer les valets, dans les grands restaurants, ceux qui mangent dans la main des "Magnificent" sans avoir leurs moyens. En fait, on laisse entrer n’importe ayant une carte de crédit.

À une certaine époque, aujourd’hui révolue, les Excellents construisaient des murs, des poutrelles et des donjons. Par qui faisaient-ils construire tout ça? Par les pauvres. Malgré la peste, malgré le choléra. On imagine bien qu’en ces temps-là, les Excellents ne faisaient pas tout un plat de la grattelle. Une fois les murs bien solides, ils s’enfermaient dedans, mangeaient comme des porcs, baisaient comme des cochons et pétaient comme des gorets. Les pauvres restaient dehors, avec leur maladie de pauvreté. C’était l’époque sanitaire où les malades s’appelaient aussi des serfs.

Où est la différence de mentalité entre le Moyen-Âge et l’Âge-des-Moyens de ce début de millénaire? Des Jacquouille-la-fripouille, on en a plein nos rues. Ils puent. Ils ont les dents cariées, parfois même les bras coupés comme celui qui mendie en face du Théâtre Saint-Denis. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi celui-là s’attaque aux artistes et va tout le temps s’exhiber là où se déroulent de grandes soirées. Il veut quoi au juste, qu’on l’invite au Gala de l’ADISQ? Non, mais tout de même! Si ses bras coupés sont aussi contagieux que sa pauvreté, ça va nous faire toute une colonie d’artistes manchots. Et comment ils feraient, nos artistes manchots, pour accepter leurs trophées avec les manches pliées dans le dos?

Quand monsieur Landry peste contre la grattelle, contre cette social-démocratie qui alimente la pandémie de médiocrité, on jurerait qu’il nous crie: "Mettez un condom!"; "Lavez-vous les mains!"; "Fréquentez des Excellents, vous allez moins puer des dents!" Voilà un monsieur qui se soucie du bien-être de ses semblables.

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Excellent dans son genre, Charles Fourier a cru naguère qu’on pouvait faire des affaires dans le respect du bien-être collectif, en mettant l’entreprise au service de la collectivité, pas le contraire. Fourier est disparu depuis longtemps. C’est dire combien la pensée évolue lentement. Pour que ça marche vraiment, ce genre d’utopie, ça prend un Excellent qui ait un peu d’humanité. Hélas! Nos Excellents sont vaguement hypocondriaques et obsédés par l’idée qu’un compétiteur va leur foutre la grattelle dans leur Martini.

Le bon, dans le raisonnement du Grand Excellent Landry, c’est qu’avec lui les solutions se précisent. Le socialisme étant une merde idéologique, alors que la charité et la responsabilité sociale entretiennent le fléau qu’elles croient combattre.

Ou bien les Excellents sortent leur argent pour guérir la maladie; ou alors on met tous les "engrattellés" dans une chambre étanche, et on ouvre le gaz.