Grandes gueules

Jeunes et toxicomanie: à quand un vrai débat?

Nous entrons dans le XXIe siècle, et l’Amérique persiste à fuir devant un véritable débat social sur la drogue, en dehors de toute question de légalité ou d’illégalité. Nous n’arrivons pas à trancher clairement. C’est pire qu’une question de référendum. Depuis une quarantaine d’années, les drogues douces, puis les drogues dures ont fait leur entrée dans notre paysage: mari, haschisch, résine, mescaline, champignon, LSD, cocaïne, crack, héroïne, ecstasy, et j’en passe.

Les parents qui ont tripé fort il y a trente ans se sont pour la plupart assagis ou, au contraire, ont troqué le hasch contre la coke. Ils se contentent de croiser leurs doigts avec inquiétude quand leurs ados fument déjà leur joint à treize ans. Et un joint beaucoup plus fort que les brindilles qu’on fumait dans les auberges de jeunesse des années 70. Bref, qu’est-ce qu’on fait avec ça? Ça vous tente pas d’en parler, vous autres? D’arrêter de faire vos Bill Clinton?

En fait, pourquoi consommons-nous? Pour nous éclater, ou parce que la vie est insupportable? Croyez-vous qu’on s’en va vers l’Apocalypse et autant finir gelés? La solitude vous pèse? Vos propres limites d’homo sapiens ne sont plus respectables? Est-ce une curiosité monstre qui vous motive à voyager dans d’autres espaces de perception? Est-ce que la drogue vous rend plus conscient de votre responsabilité sociale ou au contraire plus indifférent à la collectivité? Avez-vous l’impression de muter? Croyez-vous que la réalité avec un grand "R" est trop idiote? Est-ce que votre pouvoir et votre intelligence s’en trouvent accrus ou diminués? Ètes-vous un gourmet qui se délecte parcimonieusement ou un goinfre vautré dans toutes les substances? Vous arrive-t-il de faire le bilan? Et de partager votre réflexion à cet égard?

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Quoi qu’il en soit, pendant que la population continue à jouer à colin-maillard devant les jeunes qui se piquent dans le métro, le crime organisé est mort de rire et il a fortement intérêt à ce que la situation demeure exactement comme elle est. Difficile de gronder les Hell’s avec assurance!

Quand on regarde l’évolution du phénomène, on peut rester perplexes. D’abord, plus d’un baby-boomer est resté accroché à l’once de pot hebdomadaire. Et maintenant, les ados explorent le terrain beaucoup plus tôt, plus souvent, et plus facilement, dans un contexte où les drogues dures gagnent de plus en plus d’adeptes.

Quelques parents de cette progéniture à qui on ne dit jamais non se résignent, en désespoir de cause, à fournir eux-mêmes leurs rejetons, pour être certains que ce sera du bon stock. Parce que les drogues sont toujours illégales, donc potentiellement trafiquées. Dans ce contexte peu rassurant, certains parents préfèrent donner de l’herbe aux enfants, plutôt que de les imaginer en train d’acheter du tranquillisant pour cheval rue Saint-Denis. Comment construire un discours éducatif dans une telle situation? Vous voyez-vous en train de dire: "Tu ne toucheras pas à cela avant 18 ans!" En fait, comment faire de la morale au sujet de quelque chose d’illégal? L’ambiguïté entourant la drogue rend les tentatives d’encadrement malaisées et peu convaincantes. Il est plus facile d’éduquer sur l’alcool. La loi existe et elle est claire. On peut s’appuyer sur elle.

Il faudrait examiner courageusement nos motivations réelles et hausser le niveau intellectuel du débat, avant même de discuter la légalisation ou non de la drogue. L’hypocrisie est trop ancrée. Premièrement, faisons un constat lucide de l’ascension fulgurante de la consommation des drogues dans notre civilisation. Décadence, fuite en avant, ou désir de créativité et de dépassement? Le vin et l’alcool font partie de l’héritage occidental; cette situation culturelle est nôtre. Nous en gérons tous les aspects, incluant les dérapages. En quoi des drogues comme la marijuana et le champignon s’accordent-elles avec les valeurs des cultures où elles ont été utilisées? En quoi s’opposent-elles à nos valeurs occidentales? En quoi rendent-elles la vie actuelle plus supportable? Et de quelle façon?

Entre une initiation mystique au peyotl comme il s’en passait dans les tribus d’Amérique du Sud et une défonce insensée où vous finissez malade dans les toilettes, il y a un fossé de valeurs différentes. Le même fossé existe entre le nirvana individuel que vous cherchez dans la drogue, et la violence quotidienne du réseau qui vous fournit. Mais ça, il ne faut pas le dire. Votre petit sachet de cocaïne a traversé une jungle d’interdits avant d’arriver dans vos poches, et autant l’avouer, ça vous excite autant que l’effet. On n’est pas sortis de l’auberge.