Grandes gueules

Le piège ethnique

L’affaire Michaud soulève le piège des questions ethniques. Parizeau, avant lui, a démissionné pour avoir parlé du vote ethnique. Monsieur Chrétien, après maintes questions, a indirectement admis avoir accéléré l’attribution de citoyenneté à la veille du référendum de 1995, tout en niant que c’était pour favoriser le camp du Non. En fait, la question ethnique est un piège pour tous les politiciens.

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Sociologiquement, la scientificité des sondages est basée sur des extrapolations du vote en fonction des groupes d’appartenances: ethniques, linguistiques, professionnels, éducationnels, économiques, etc. Il y a donc des comportements liés à l’appartenance ethnique dans le vote, mais sa pondération n’est pas nécessairement la plus influente.

En réalité, la langue paraît être un facteur plus important. Il semble en effet que les membres d’ethnies qui sont francophones ont voté Oui dans une proportion assez considérable (de 23 à 34 % d’après divers modèles de pondération), selon les conclusions de Pierre Serré, étudiant au doctorat en science politique à l’Université de Montréal. Ainsi, le vote des juifs peut avoir suivi cette même tendance, selon qu’ils soient francophones ou non. Alors, que cette communauté fut unanimement pour le Non dans certains pôles n’est pas un indice que tel fut le cas pour TOUS les juifs québécois. La thèse de monsieur Michaud n’est donc pas scientifiquement recevable et est fort critiquable. Cela ne l’empêche cependant pas de dire son point de vue, car nous sommes encore dans une société ouverte et libérale. À moins que les racines conservatrices des deux chefs québécois(Bouchard et Charest) nous ramènent au duplessisme?

Politiquement, par contre, dire que le vote fut ethnique, c’est nier la liberté individuelle. Parce que chaque citoyen, derrière l’isoloir, a liberté de conscience et est seul à choisir. Remettre ce principe en cause, c’est aussi remettre en cause le fondement de la démocratie. Le faire peut donc soulever un tollé. Il n’est pas dit cependant qu’il ne faut pas soulever les questions de représentativité du système électoral, car ce sont des outils qui donnent une image plus ou moins juste de la volonté du peuple. On l’a vu aux États-Unis cette année.

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La question ethnique est aussi un piège à un autre niveau, puisque si l’on se définit comme ethnique, on ne veut pas être qualifié d’ethnique! Se définir ainsi peut être inclusif dans un groupe, représenter un signe d’appartenance ou un signe de différence. Mais être défini ethnique par les autres est par contre exclusif.

En fait, pour combien de temps est-on ethnique? Quand le devient-on? Quand ne l’est-on plus? Car avec les mariages mixtes, des Bouchard ou des Michaud pourront aussi devenir des ethniques! Et des Xyz pourront devenir des pures laines! Un "ethnique" deviendrait-il un autochtone s’il retournait dans le pays de ses ancêtres? Ou serait-il considéré comme un Québécois ou un Canadien, donc un "ethnique", par eux? L’ethnicité est un concept très subjectif. Pour cette raison, je lui préfère le concept de citoyen. Est citoyen toute personne habitant le territoire.

Valoriser l’ethnicité par le multiculturalisme peut aller à l’encontre des individus, parce qu’on peut les voir comme des "ethniques" qui ont des comportements prédéterminés – ce qui vaut aussi pour l’ethnie "canadienne-française" ou "québécoise de souche". L’individu n’est plus maître de lui: ses comportements sont prédéterminés par son ethnie selon cette optique. C’est ainsi qu’en 1998, l’Honorable juge Monique Dubreuil a laissé sortir deux violeurs avec une peine à purger "dans la collectivité", vu le "contexte culturel particulier à l’égard des relations avec les femmes" chez les Haïtiens, ce qui avait soulevé un tollé!

En valorisant l’ethnicité, on nie que les individus sont le fait de divers facteurs sociaux, politiques et culturels locaux, nationaux, mais aussi internationaux (avec l’ouverture sur le monde que procurent les moyens de communication modernes). Les notions de races et d’ethnies comptent pour peu dans ce que sont les individus. Les réduire pour un Oui ou pour un Non à un groupe homogène relève davantage d’obscurantisme que de racisme, mais ce n’est pas une raison pour nous ramener à La Grande Noirceur duplessiste.