Grandes gueules

Cachez ce sein!

Voilà quelques semaines déjà que les histoires de seins font les beaux jours des animateurs de radio assoiffés de sensationnalisme, des chroniqueurs du dimanche et des moralistes de tous poils. Ça suffit! Y en a marre de voir ces braves s’indigner et soupeser le pour et le contre de la légitimité de la pose de prothèses mammaires. Et à quel âge, et pour qui et à quelles conditions. Avec l’autorisation du mari, du père ou du frère, peut-être?!

De quoi devenir radicale. On a bêtement envie de les renvoyer à ce qui leur pend entre les jambes et de faire des comparaisons outrées. Si les prothèses d’élongation ou de densification pénienne étaient plus au point, je me demande si on assisterait à un tel débat public. Dans la foulée, on est tenté de leur resservir le slogan féministe maintes fois ressassé mais toujours d’actualité: "Mon corps m’appartient."

Qu’il s’agisse de chirurgie esthétique ou, dans une tout autre mesure, d’avortement.

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Mon corps m’appartient, cela veut dire pour les durs de comprenure que moi et moi seule suis habilitée à décider de ce que j’en fais. En fonction de ma situation, de mes convictions ou encore selon mon bon plaisir, mes complexes ou mes bébites. Et ça ne regarde que moi! Visiblement, une grande partie de la population a encore du mal avec cette conception de la liberté.

Ce qu’il y a d’instructif, c’est la nature des arguments invoqués: la santé et le jugement des femmes. Comme si nous n’étions pas assez grandes pour prendre des décisions avisées, manipulables à merci, influencées par les courants de mode et les redoutables images des magazines féminins! Penser cela, c’est sous-estimer l’importance de la poitrine dans le développement d’une identité féminine solide.

Ce qui a titillé l’opinion, c’est d’abord l’histoire de l’adolescente de 15 ans qui s’est vu offrir des prothèses par sa mère pour "réussir dans la vie". Bien sûr qu’on peut se réaliser sans avoir une poitrine parfaite, mais du complexe paralysant à une suffisante estime de soi, il y a souvent bien des étapes à franchir. L’aspect purement esthétique fait toujours bondir les bien-pensants, tous sexes confondus. Nier son importance participe d’une écoeurante hypocrisie sociale.

Ben oui, une belle poitrine est un des atouts d’une femme. C’est-tu assez épouvantable!

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Puis il y a eu l’histoire de cette autre jeune fille dont la chirurgie a été couverte par la RAMQ. Tollé général, le contribuable a une bonne raison de s’énerver. Mais qui connaît vraiment le fond de l’affaire?

Imaginons, par exemple, une adolescente dotée de ce qu’on appelle une asymétrie mammaire. Un tout petit sein avec un mamelon mal formé et un autre sein de la taille d’un pamplemousse. Est-il si difficile de comprendre qu’un psy ait décrété que pareille difformité puisse être hautement préjudiciable à l’équilibre et à la santé d’une citoyenne? Dans le même esprit, que dire de l’adolescente qui voit venir les cours d’éducation physique avec effroi parce que sa forte poitrine ballotte et que les gars de sa classe se moquent d’elle? Quoi penser de toutes ces autres femmes qui ne porteraient jamais de maillot de bain parce que leur poitrine les gêne trop? Bonjour la confiance en soi et la vie amoureuse épanouie! Les cabinets des chirurgiens esthétiques bruissent de ces confidences. Qui sommes-nous pour juger de la qualité de la détresse des autres?

Quant aux arguments paternalistes du genre: "Nous autres, on les aime comme ils sont, vos seins, les filles. Vous vous en faites trop avec ça", ils valent ce qu’ils valent surtout quand on voit les grands défenseurs du sein naturel se retourner sur le premier pétard à seins siliconés venu. Parlez-moi d’un double message que la plupart des femmes sont promptes à saisir.

Dans ce débat, il ne faudrait pas non plus oublier la majorité des femmes, qui n’ont ou n’auront pas recours à la chirurgie. Toutes celles qui assument leurs seins tels qu’ils sont, qui vivent en paix avec leur poitrine. Mais alors pourquoi une telle véhémence à juger celles qui décident de donner un coup de pouce à Dame Nature? Au nom de quoi s’excite-t-on dans les chaumières et les salles de rédaction?

Sans tomber dans un idéalisme à la petite semaine, il est toujours choquant de constater que le corps des femmes demeure le lieu par excellence de la préservation de la moralité.