Oh combien de navires, combien de capitaines…
C’était l’enfer, le bateau blessé, perdu sans capitaine, s’échouait en eaux troubles, dans l’amertume, éventré sur les récifs de la langue et des communautés ethniques.
Parmi les débris, les drapeaux et les oriflammes, on aurait pu lire, dans le journal du médecin de bord délavé par les larmes et l’eau de mer:
"Ici sombra Lucien Bouchard, ayant vécu l’ingouvernabilité du Parti québécois face aux échéances référendaires… chef d’un parti qui, chaque fois qu’il prend le pouvoir, s’enfonce à droite, sous la pression d’élites, qu’en d’autres temps on nommait apparatchiks…
Ces authentiques détenteurs du pouvoir, qui refusent de poser des actes de foi suicidaires, se sont une fois de plus confrontés à quelques enragés pour lesquels la fin justifie tous les moyens.
Et confrontés aussi à ces vieux militants aigris, nationalistes de la première heure, qui, après avoir consacré leur vie à jeter les bases d’un Québec indépendant, désespèrent de voir un pays de leur vivant."
La mutinerie couvait à bord, rapporte le docteur.
Et les votes de confiance du Parti, arrachés à la dure sur un équipage avide de rivages après six ans en mer, le chef n’y croyait pas lui-même, puisque aucun plébiscite n’a su le rassurer.
Il y a ces terribles exemples, ces héros en disgrâce passagère poussés sur la planche, jetés aux requins… la flagellation de Lévesque, le lynchage de Pierre-Marc Johnson. Comme le disait Agnès Maltais, ce parti qui assassine ses capitaines…
Et, je pensais, comme beaucoup d’adeptes détruits et autant d’opposants ravis, que si Lucien Bouchard renonçait à faire le pays, personne ne le pourrait.
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Wuoooohh… Minute! Stop, rembobinez, allumez les lumières. Revenons sur terre, fini le folklore, abandonnons la littérature XIXe, le comte de Monte-Cristo, Richelieu et les trois mousquetaires, le pathos et le grand romantisme, les midinettes évanouies derrière leurs éventails.
Le roi des animaux trahi par sa cour, le pays qui sombre telle l’Atlantide, après lui le déluge… les Québécois n’y croient guère. Et même si ces fables et légendes contiennent une part de vérité, ce que disait déjà le citoyen mardi dernier à travers les sondages, c’est que l’indépendance demeurera à l’ordre du jour, que le PQ, avec un autre homme, peut encore remporter haut la main les prochaines élections, que pour beaucoup l’histoire continue. Que le PQ n’extermine pas plus ses chefs dans des actes d’autosuicide apparentés aux lemmings que ne le font les autres partis.
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Donc, business as usual, Stéphane Dion et le National Post vont être déçus. Ceux qui pensaient qu’on allait enfin cesser de se faire rabattre les oreilles par cet affreux nid de coucou depuis que papy s’était évadé aussi.
Passé le petit traumatisme des adieux qui nous a montré le tristounet spectacle d’un homme écoeuré, à bout de forces, d’un monsieur qui s’ennuie de sa famille et choisit de retourner à l’essentiel pour le temps qui lui reste, le culte de la personnalité n’aura que brièvement opéré.
Parce que le gars, la fille ordinaire, plombier ou avocate, qui rentre chez lui laminé après sa semaine de 40 heures, comprend que ce genre de métier finit simplement par faire perdre patience.
Que cette espèce d’emploi précaire renouvelable aux quatre ans selon un contrat passé entre élus et électeurs est aussi révocable par l’une que l’autre des parties. Parce que jusqu’à preuve du contraire, personne n’a prouvé qu’un gouvernement, fût-il nationaliste, affichait une conscience exceptionnellement aiguë de la réalité. Parce que si l’indépendance ne figure pas parmi les priorités des Québécois, c’est peut-être qu’ils n’aspirent pas tant à un pays qu’à une société.
Un monsieur, proche de l’âge de la retraite, confronté à des employeurs bien difficiles à satisfaire a simplement remis son bleu.
Pas de quoi en faire un drame.