Grandes gueules

La grande bouffe

"Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger."

Depuis quelques décennies, ce que nous mangeons est soit contaminé, soit tout simplement pas bon pour notre santé. La vache folle, la grippe du poulet, la tremblante du mouton, le veau aux hormones, et j’en passe. Et demain, ce sera quoi? Le sida du cochon, la tuberculose de la morue, la jaunisse du dindon?

Par prudence et par peur, on se jette alors sur les légumes et sur les fruits; lesquels peuvent aussi être contaminés par des résidus de pesticides dont les producteurs se servent plus que généreusement pour satisfaire des consommateurs à la recherche de la tomate ou du céleri parfait, de bonne couleur et sans tache.

Pendant des années, on nous a bassinés en nous suppliant de bien manger. De prendre des céréales, des produits laitiers, et là, subitement, on apprend que le pain, c’est pas bon, que les graminées sont à proscrire, et que le lait fait grossir.

Alors, à tous les ayatollahs de la bouffe, je demande: quoi manger? Mais ce n’est pas tant le quoi qui est important ici, que le comment. Pas de gras, pas de beurre, peu d’huile. Ne pas manger viandes et légumes en même temps parce que les indices glycémiques ne sont pas bons. Et merde! Et puis docteur? Sucer un cube de glace, ça fait-tu l’affaire?

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Les pseudo-spécialistes de la bouffe ne font que se contredire. Le plus bel exemple a été la véritable guerre menée contre les oeufs. Bourrés de cholestérol et patati et patata, disait-on. Les industriels ont vite réagi en créant des oeufs sans cholestérol! Un miracle, non? Et résultat de tout ça: change ta veste, vire de bord, quinze ans plus tard, on revient en force en nous suppliant de bouffer des oeufs. Que c’est orgasmiquement bon pour la santé et bla-bla-bla. Mais alors, qui croire?

Bouffer aujourd’hui se révèle un véritable parcours du combattant. Il faut quasiment être diplômé de Harvard pour jouer correctement avec "son manger", comme disait la matante. Lipides, gras hydrogénés, les acides polysaturés, les monosaturés. Le consommateur moyen s’y perd et slalome entre ses connaissances et les petits bouts de conseils qu’il peut attraper ici et là.

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Manger doit être un plaisir. Mais ces professionnels (aux doubles mentons puissamment proéminents) ont réussi à nous faire peur. Je mange stressé. J’ai l’impression d’avaler de la dynamite à chaque bouchée. J’imagine mon pancréas dans le rush d’une production d’insuline, et mon estomac, se contractant comme un ver à l’hameçon.

Sincèrement, se bouger les fesses un peu plus pourrait éviter bien des tours de taille disgracieux. J’ai grandi dans un milieu familial où la nourriture était un plaisir, un sacerdoce. J’ai appris à ne pas manger entre les repas, à bouffer à heures fixes et à ne pas reprendre cinquante fois du même plat. L’éducation vis-à-vis de la nourriture doit être la même que celle ayant trait à la politesse ou au respect. Tout s’apprend. Je suis effaré d’entendre le docteur Marc-André Lavoie nous dire qu’il faut aller dans les écoles primaires pour apprendre aux enfants le non-plaisir de la nourriture. Leur montrer que manger ce n’est pas bien, ce n’est pas bon.

Plutôt que de nous rabâcher les mêmes âneries à coeur de jour, nous amis diététistes devraient davantage nous dire que comme dans tous les plaisirs: c’est l’abus qui tue. Pas le fait de déguster un mets savoureux qu’il contienne du gras ou pas. Du sucre ou non.

J’en ai ras la casquette d’être regardé de travers quand je fume, quand je mange un beigne, ou quand je me promène avec mon cellulaire. De nos jours, tout le monde veut avoir le nez dans notre assiette.

Le jeu des diététistes est un jeu mesquin. Leur approche n’est pas la bonne et ne fera qu’augmenter l’engouement des Québécois pour les cachets et pilules de suppléments alimentaires plutôt douteux en vente libre aux quatre coins du Québec. Nous allons devenir une population d’avaleurs de Smarties et de Glosettes sans savoir réellement ce que contiennent ces saletés .

Je veux rester maître de mon assiette. De mes crevettes au beurre à l’ail, de mon fromage au lait cru et de tout ce qui fait que la papille gustative existe. Manger du vent et sucer de l’air, très peu pour moi.