Il était une fois, dans les années 60, des Baby-boomers encore jeunes et exaltés, et des trafiquants de drogue en plein développement de marché. Les uns et les autres se rencontrèrent, se marièrent et firent des affaires prospères…
Les Boomers ont fait de la révolte contre le Père un slogan avec, comme fondement, la destruction des frontières, l’abolissement des contraintes et la jouissance sans entraves. Beau projet. On connaît la suite: les Boomers sont passés tour à tour de l’échec à la désillusion, au repli sur soi, puis à une forme de philosophie politique fondée sur l’opportunisme et le calcul.
L’étapisme est né dans la tête de toute une génération qui a considéré comme vaine toute forme de combat véritable, et comme fécondes, l’alliance et la stratégie.
Les Boomers avaient lâché Marx pour Machiavel. Le "beau risque" que voilà!
Pendant ce temps, la majorité de la population mondiale croupissait dans les pays du Tiers-Monde. Elle croupissait avant Mai 68, et elle croupit encore aujourd’hui. Seule différence: la drogue. Popularisée par les Boomers et hissée au rang des musts pour faire chic, elle allait devenir le produit culte de la réconciliation idéologique. En 2001, le PNB de plusieurs pays pauvres repose sur les narcodollars. Et les Boomers au pouvoir dans les différentes sphères de la société occidentale participent, activement ou passivement, au blanchiment de l’argent des trafiquants.
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La révolte contre le Père a réussi. La destruction des frontières est un fait. Mais à qui sert-elle d’abord, la mondialisation, sinon au libre-échange de l’argent sale? Les Boomers ont aboli les contraintes en subordonnant l’éthique au droit. "Pas important, ce que tu fais, pourvu que la loi te le permette…"
Il n’y a pas plus de criminels aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Mais ils ont plus d’argent et ont compris qu’il y avait une place à prendre entre les pays producteurs du Tiers-Monde et la dissolution de la responsabilité dans les États occidentaux.
Les criminels ont saisi d’instinct que le Boomer est un être fragile, sans réel pensée sociale, sans engagement; mais entêté et très imbu de sa personne. Ils ont compris que rien n’est plus achetable qu’un éternel adolescent voué à un grand destin, quand le grand destin se fait attendre.
On a tué le Père d’avant 1960, parce que c’était un Père fouettard, un abuseur, un écraseur autocrate de mèche avec l’Église. Mais on l’a remplacé par quoi? Par un commis de banque, un Père Ovide sans épine dorsale, des hommes qui s’accrochent au pouvoir davantage qu’à leurs idées.
Et ça sert à quoi, le pouvoir, quand on n’a pas d’idées? Parlez-en aux criminels, ils vous le diront franchement, eux, ce que devient le pouvoir sans idée: un courtier.
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La société criminelle, c’est le crime au pouvoir; mais c’est surtout les modes de pensée qui lui permettent de devenir un thème médiatique grossier, banalisé. Le blanchiment, la corruption, la concussion ne sont plus les ingrédients de l’immoralité publique: ce sont des sujets à l’agenda, dont on débat à mi-voix, avec des bémols et des bécarres. On les remoule au gré de la jurisprudence, appuyé sur une Charte des droits qui est en réalité une Charte des privilèges. Le système est pourri de l’intérieur et nous n’en percevons que certains détails, quand un petit juge tient tête à de Grands Avocats.
Les papas forts et bienveillants sont-ils définitivement disparus dans un atelier psycho-pop de Guy Corneau? La société des papas faibles n’est pas seulement une société débordée par la criminalité, c’est une société qui banalise la pensée du criminel parce qu’elle a perdu ses repères entre autorité et libéralisme, entre la loi et l’éthique, entre la moralité et l’opportunisme.
Illustration. Le ministre de la Sécurité publique, monsieur Ménard, s’est dit révolté par l’attaque des motards contre le policier Guy Ouellet. "Ces gens-là ne respectent aucune règle", a-t-il lancé aux journalistes venus l’écouter. Il s’attendait à quoi, des motards criminalisés, monsieur Ménard: qu’ils envoient des faire-part?
On est vachement en sécurité.