"Nous sommes passés dans les dernières années du concept de communauté globale vers une globalisation culturelle. Il ne faut pas perdre de vue que cette promotion de l’uniformité est faite par ceux dont le seul intérêt est la rentabilité."
D’où vient cette réflexion anti-mondialiste? D’une conférence de Noam Choamsky?
Non: elle est tirée du discours prononcé par le chanteur ontarien Bruce Cockburn lors de son intronisation au Canadian Music Hall of Fame durant le Gala des Juno, il y a deux semaines.
Et quel meilleur endroit pour parler d’uniformisation culturelle que cette trentième célébration du pathétique manque d’originalité de la musique canadienne, je vous le demande?
***
Si, selon les spécialistes, il existe bien un rock canadien, il se distingue surtout depuis des lustres par sa banalité, sa platitude et sa grossièreté croissante. Trois accords, un rotte de bière, et vous savez à quelle bande de désoeuvrés venus de Thunder Bay ou Hamilton vous avez affaire.
Bien sûr, il existe des exceptions: The Tea Party, Our Lady Peace, Matthew Good Band… parfois. De quoi réussir son cours secondaire en copiant sur les doigts d’une seule main.
Ainsi les Moffatts ne seront jamais que la pâle imitation des Hanson. The Tragically Hip, une version alternative de R.E.M. Bryan Adams restera toujours le Bruce Springsteen du pauvre, récrivant éternellement la même chanson d’amour, et les Skydiggers pilleront toujours l’essentiel de leurs harmonies vocales directement chez les Byrds. Il y a autant de raisons d’acheter canadien que de choisir du Cheez Whiz au rayon des fromages importés.
Reste notre rap national pour sauver l’honneur. Des zwippzwippzwipp accompagnés d’un discours urbain si authentiquement canadien qu’il suffirait à faire sortir un orignal du bois. Rien à envier au crétinisme américain. C’est déjà ça. Yo, respect.
Une culture aussi superficielle, étouffée par de lourds voisins, a nécessairement besoin de temps en temps d’oxygène, sinon de respiration artificielle. Après tout, on ne voit pas pourquoi les géants du disque ne devraient pas bénéficier indirectement des généreuses subventions de la branche anglophone de Musication.
Elle devait être contente, Sheila Copps, notre très sexy ministre du Patrimoine (c’est ainsi qu’elle fut présentée), d’entendre la très ravissante Nelly Furtado, grande gagnante de la soirée, évoquer à travers ses origines portugaises bigarrées la formidable diversité nationale et prononcer le mot Canada toutes les trente secondes.
Évoquant immanquablement – mais un an plus tard dans les Maritimes – Jennifer Lopez jusque dans sa tenue vestimentaire, Nelly portait une très jolie robe, légère comme un petit chiffon rouge, que n’aurait pas dédaigné Bernard Landry.
***
Cette propension au clonage, pour ne pas dire au plagiat, s’est propagée jusqu’où on ne l’attendait pas: dans les musiques du monde où les nominés plagiant Jane Burnett et Los Cubanosmachinchose ne sont pas capables de récupérer autre chose que la très rentable tendance cubaine inauguré par le Buena Vista Social Club.
Pathétique.
Aussi pathétique que la prestation de Burton Cummings et compagnie qui ont confirmé que l’expression "Guess who’s coming back (again) for dinner" était faite sur mesure pour cette bande de pionniers que les outrages du temps ont transformé en beaux-frères obèses et lamentables.
Côté francophone, nous avons tous été heureux d’apprendre qu’après des cours d’anglais intensifs, Lara Fabian poursuit son ascension triomphante vers l’aseptisation culturelle internationale. C’est dans l’ordre des choses.
Car on a beau nous tasser au Sommet des Amériques, en matière d’aseptisation, nous, Québécois, ne nous contentons plus d’un rôle de figurant. Paris, Bruxelles, Genève, Londres, sur toutes les scènes du monde, on fait un triomphe à ces chanteurs et chanteuses à voix.
Ça s’entend… Nous avons pris les choses en main.